A C T U A L I T E (S)
 
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Un journal de Festivals

29 Juillet 2005

 
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La route des festivals, au contraire des chemins de Saint-Jacques, n'a pas de ligne d'arrivée ; encore moins de point de départ. Les pèlerins la parcourent en ordre dispersé et pourtant dans un même sens, celui de la musique. Leur quête, sans renier sa part d'hédonisme, n'en demeure pas moins initiatique. On y vient traquer l'émotion au travers de la voix humaine qui s'élève en plein air dans la douceur des nuits d'été, la recherche d'un certain panthéisme, le bonheur d'être en vacances tout simplement.

10 juillet 2005, Aix-en-provence, La clemenza di Tito

La Clemenza di Tito de Wolfgang Amadeus Mozart 
Kresimir Spicer (Tito), Krassimira Stayanova (Vitellia), Amel Brahim Djelloul (Servilia), Kristin Jepson (Sesto), Stéphanie d'Oustrac (Annio), Luca Pisaroni (Publio) - Paul Daniel (Direction musicale), Lucas Hemleb (mise en scène)

Si les étapes diffèrent selon les goûts et les envies, il y a fort à parier que l'une d'entre elles s'appellera Aix-en-Provence. Depuis 1947, un public distingué occupe tous les mois de juillet la cité de Cézanne. Placé sous le signe de Mozart, le festival ne cède pas à la facilité. Elitiste et superbe, il préfère aux grands standards du répertoire des oeuvres plus exigeantes. Il faut alors adopter une tenue de circonstance, reboutonner sa chemise, abandonner les sandales et chausser les escarpins pour fouler les pavés glorieux du palais de l'Archevêché. Elégance ne rime pas forcément avec connaissance. On le vérifiera durant cette Clemenza di Tito quand une salve d'applaudissements viendra interrompre Sesto en plein milieu de son grand air. Entre ce moment et celui où l'on a passé le porche épiscopal, son billet d'entrée chèrement acquis serré entre les doigts, on aura plongé dans des délices sonores qui font le véritable prix de la soirée. Car l'acoustique de la cour de l'Archevêché atteint un degré de perfection que certaines grandes maisons d'opéra nous avaient fait croire impossible à atteindre. Ici, tout est transparence et juste résonance. Dans de telles conditions, le Mahler Chamber Orchestra déploie des trésors de sonorité et porte dès le début l'ouverture de l'oeuvre au sommet. Trop haut, trop vite presque. Une fois les cimes atteintes, il faut s'y tenir et Paul Daniel, irréprochable par ailleurs, ne parviendra pas à maintenir la tension du premier finale.
Christian Merlin l'écrivait sévèrement dans Le Figaro au sujet du Cosi fan Tutte signé Patrice Chéreau et Christian le confirmait en sortant : ce qui est acceptable d'une matinée d'abonnement à Francfort ou d'une représentation dans une sous-préfecture de province n'est pas tolérable ici. Le public, retrouvant un brin de latinité, sortira de sa respectable distinction pour le rappeler au metteur en scène, Lucas Hemleb, et à son équipe. On tâchera alors de vite oublier les tristes décors, le marquage au sol, l'espace pauvrement délimité par un "rideau de douche" pour se concentrer sur la distribution. Et plus que la Vittelia de Krassimira Stoyanova, jolie mais trop aimable, cette femme est une vipère, elle pique, elle mord et quand elle caresse, elle griffe aussi, plus que la charmante Amel Brahim-Djelloul, déjà applaudie au Théâtre des Champs-Elysées dans L'incoronazione di Poppea, ou l'Annius de Stéphanie d'Oustrac, non exempt de duretés, plus surtout que le Tito expressif mais sommaire de Kresimir Spicer dépassé par les exigences du rôle, on retiendra la séduisante jeunesse de Luca Pisaroni qui réussit l'exploit de rendre intéressant le personnage de Publio et, surtout, le Sesto de Kristine Jepson, viril et tendre, victime évidemment mais avec noblesse, qui, mieux que Susan Graham en mai dernier à Paris, sait émouvoir sans apitoyer. Autrement mis en scène, la mezzo soprano américaine toucherait au miracle. Il faudra s'en souvenir pour une prochaine fois et ne pas oublier alors d'être là.

11 juillet 2005, relâche

Pour aller par le train d'Aix-en-Provence à Vérone, il faut traverser autant de gares et subir autant d'arrêt que Rossini a dû composer d'opéras, changer deux fois, à Nice puis à Milan, soit au total voyager près de douze heures en comptant les deux de retard qui finissent par s'accumuler, la Trenitalia est ennemie de la ponctualité. 

On ne s'en plaindra pourtant pas. La cause est bonne, la voie longe la mer et, par un beau jour de juillet, la Côte d'Azur n'a jamais autant mérité sa couleur. Saint-Raphaël, Juan-Les-Pins, Cannes, Nice, Menton, les noms des stations sonnent comme des promesses de farniente. Passé Vintimille, on se répète avec délice qu'enfin, vraiment, e pericoloso spoggersi.

12 juillet 2005, Vérone, La Gioconda

La Gioconda d'Amilcare Ponchielli
Andrea Gruber (Gioconda), Ildiko Komlosi (Laura Adorno), Marco Spotti (Alvise Badoero), Elisabeth Fiorillo (La cieca), Marco Berti (Enzo Grimaldi), Carlos Guelfi (Barnaba) - Donato Renzetti (Direction musicale), Pier Luigi Pizzi (mise en scène)

A Vérone, en cas de pluie, les billets ne sont remboursés que si le spectacle est interrompu avant le premier acte. Sinon, il ne reste plus qu'à maudire le sort. Pour conjurer les grognements de l'orage, nous avons allumé des cierges à San Fermo Maggiore ; nous avons touché la bosse des gobbi de Santa Anastasia, ces bossus de pierre qui soutiennent les bénitiers à l'entrée de l'église. Les saints nous entendirent. Seules quelques gouttes saluèrent notre entrée dans les arènes puis les nuages disparurent avec le jour. 

Les spectateurs des gradins doivent arriver à l'avance pour arracher les meilleures places. "Per la Gioconda, un'ora sarà sufficiente" avait précisé Federica, notre charmante hôtesse. L'opéra de Ponchielli ne fait pas recette. Pourtant l'oeuvre, majuscule avec ses six grands premiers rôles, de la basse au contralto, ses choeurs, son ballet, se prête bien au cadre démesuré des arènes. Avant le spectacle, on pique-nique gaiement au milieu des loueurs de coussins, des vendeurs de glaces et de boissons. Puis quand approche l'heure, on allume une petite bougie. Le théâtre scintille, la grand-messe lyrique peut commencer. 
A scène immense, voix puissantes. Seuls les grands formats peuvent emplir un tel espace. L'amateur de dentelles, de miniatures, d'intimisme passera son chemin. 
Ici les règles ne sont pas les mêmes qu'à Paris : les demi pointures ne jouent pas les doublures ; quand Aberto Mastromarino, prévu pour chanter Barnaba, déclare forfait, c'est Carlos Guelfi qui le remplace. Qui s'en plaindra ? Il possède la longueur, la noirceur, le gabarit requis. Pensionnaire attitrée de Vérone cette saison ? outre Gioconda, elle y chante Abigaille et Turandot ? Andrea Gruber paraît un peu en retrait vocalement jusqu'au dernier acte dans lequel elle se jette furieusement telle la hyène furibonde que dépeint le livret. Mais cette nuit est avant tout celle des Marco. Berti d'abord, formidablement efficace ; sonore et timbré, son "Cielo e mar" recueille la plus large ovation de la soirée. Spotti ensuite, luxueux Alvise, dont on découvrait la voix en même temps que le nom, et dont la stature vocale, l'ampleur, l'autorité sont déjà l'apanage d'un Philippe II. On guettera désormais ses apparitions. Pier Luigi Pizzi organise sans contresens tout ce petit monde, dans un décor gris d'une grande sobriété, avec en bouquet, l'incendie du navire d'Ezio qui embrase la fin du deuxième acte.
La seule déception vient du public, effectivement clairsemé, plus touriste que connaisseur, qui quitte les arènes en troupeau dès la dernière note, trop pressé pour être poli, sans respect pour les artistes qui, après plus de trois heures d'un tel spectacle, mériteraient un autre comportement. Che vergogna !

13 juillet 2005, Vérone, La Bohème

La Bohème de Giacomo Puccini 
Marcelo Alvarez (Rodolfo), Fiorenza Cedolins (Mimi), Marius Kwiecien (Marcello), Carlos Colombara (Colline), Fabio Previati (Schaunard), Musetta (Donata d'Annuzio Lombardi) - Daniel Oren (Direction musicale), Arnaud Bernard (mise en scène)

L'assistance n'est pas plus civilisée le lendemain. Les gradins se sont remplis, l'oeuvre est populaire, la distribution prestigieuse. Fort de l'expérience de la veille ? les distributions ne sont pas immuables ? on tend l'oreille à la moindre annonce. Les noms des chanteurs sont communiqués dix minutes avant le début du spectacle et uniquement en italien. 

On n'est jamais à l'abri d'une mauvaise surprise. Mais non, le ciel est dégagé, nos divas ne font pas de caprices. On se prépare à une soirée de rêve. Celle-ci n'appellera aucun reproche. La mise en scène d'Arnaud Bernard, poétique avec son lâcher de ballons sur le Café Momus, ses choristes à bicyclettes le long de la Barrière d'Enfer, réussit à occuper l'immense espace. La distribution est sans défaut. Marcelo Alvarez offre un chant policé et brillant, magnifié encore par la beauté du timbre. Fiorenza Cedolins propose une Mimi délicate et sensible qu'elle pare de nombreuses nuances. Mais c'est déjà trop de subtilités pour les arènes, les détails se perdent dans l'immensité. Aucun reproche donc mais aucun frisson. L'opéra de Puccini, domestique, confidentiel, l'acte II excepté et encore, supporte mal la distance qu'impose le lieu. Son lyrisme délicat n'y survit pas. C'est aussi ça Vérone, une Bohème où l'on ne pleure pas. C'est suffisamment rare pour qu'on le signale.

14 juillet 2005, Vérone, Aïda

Aïda de Giuseppe Verdi 
Marco Spotti (il Re), Tichina Vaughn (Amneris), Micaela Carosi (Aida), Piero Giuliacci (Radames), Vitalj Kowaliow (Ramfis), Alberto Mastromarino (Amonasro) - Daniel Oren (Direction musicale), Franco Zeffirelli (mise en scène)

Depuis sa création en 1913, Aïda est l'emblème du festival de Vérone. Son seul nom suffit à attirer les foules. Dès 19 heures les queues se forment ; Il s'agit d'être au premier rang pour mieux entendre les fameuses trompettes. 
Au bout de la troisième fois, on commence à s'organiser. On prévoit le pique-nique, le Bardolino dans les bouteilles en plastique et des gobelets puisque, sécurité oblige, le verre est interdit ; on connaît le meilleur angle de vue, la bonne rangée, celle en dessous du passage car, pour Aïda, le monde est tel que toutes les places sont occupées. A défaut d'étendre les jambes, on apprécie de pouvoir au moins s'adosser quand le spectacle dure plus de trois heures. Pourtant, Daniel Oren joue la montre afin que la soirée ne s'éternise pas, bouscule les rythmes, accélère le duo entre Amonasro et sa fille au point de ne pas leur laisser le temps d'articuler le moindre mot et choisit d'en donner au public pour son argent. Coups de cymbales, fracas des timbales, la musique de Verdi lorgne, sous sa baguette, vers la fanfare d'un régiment de province. La mise en scène de Zeffirelli ne vaut guère mieux. Au milieu de décors pharaoniques, dans tous les sens de l'adjectif, elle aligne platement les figurants en ligne et plante les chanteurs sur le devant de la scène avant de les livrer à eux-mêmes. Heureusement, Micaela Caroni sauve la soirée. Chacune de ses interventions, l'air du Nil surtout, suspend le temps et ravive la flamme lyrique. On retrouve avec plaisir Marco Spotti, dans un rôle hélas trop discret. Le reste de la distribution ne séduit pas. Le mot de la fin appartient à l'un des spectateurs, placé côté jardin, qui, lorsque s'éteint la dernière note de l'ouvrage, prend de vitesse les applaudissements et s'écrie "Viva Verdi". 

15 juillet 2005, Macerata, Le bel indifférent et Les mamelles de Tiresias

Le Bel indifférent de Marco Tutino
Monica Bacelli (Lei), Costantino Vitagliano (Lui)
Les mamelles de Tirésias de Francis Poulenc
Elena Rossi (Tiresias), Angela Masi (La marchande de journaux), Luca Canonici (le mari), Alfonso Antoniozzi (le directeur, le gendarme), Marcello Mosca (Presto, le fils), Thomas Morris (Lacouf, le journaliste) - Guillaume Tournaire (Direction musicale), Pier Luigi Pizzi (mise en scène)

Une fois éprouvé l'irrégularité des trains italiens, mieux vaut prendre une voiture pour avaler les cinq cents kilomètres qui séparent Vérone de Macerata. En chemin, on fera une halte à Pesaro pour visiter la maison de Rossini, plonger dans l'Adriatique et poser des jalons pour un prochain pèlerinage. Afin que le périple demeure lyrique, on se recueillera à Recanati, charmante bourgade perchée à une dizaine de kilomètres de Pesaro, sur la tombe pyramidale de l'enfant du pays : Beniamino Gigli. 

A Macerata, l'événement est de taille : le festival ouvre ce soir ses portes avec la création du Bel indifférent d'après le texte de Jean Cocteau sur une musique de Marco Tutino. Katia Ricciarelli, la directrice de la manifestation, apparaît dans un crépitement de flashs. Le contraste avec Vérone est saisissant. Les touristes empruntent rarement la route qui mène à Macerata ; le public, local, occupe seul la place en faisant assaut d'élégance. La taille du théâtre Lauro Rossi jure aussi furieusement avec l'immensité des arènes. Après le son dilué de Vérone, les premières mesures de musique agressent presque le tympan. Les jumelles deviennent superflues. L'opéra reprend ses droits.

Par son format, moins d'une heure, par l'écriture, les couleurs de l'orchestre, Le Bel indifférent de Marco Tutino se situe quelque part entre Le château de Barbe Bleue et La voix humaine. Seuls les partisans d'une avant-garde extrême se chargeront de conspuer la partition ; les autres apprécieront son lyrisme, le traitement musical de la langue française aussi. Monica Bacelli s'empare avec passion du seul rôle chanté et met son timbre chaleureux de mezzo-soprano au service du texte et de la note. Les spectateurs ne s'y tromperont pas, les applaudissements les plus nourris lui reviendront à l'issue de la soirée.
Car sans laisser le temps à l'assistance de manifester son contentement, le beau décor bleu du Bel Indifférent se pare de rouge et de blanc pour exalter l'esprit cocardier des Mamelles de Tirésias. L'entrain et la fantaisie avec laquelle la troupe sert l'ouvrage rachètent les défauts de prononciation. Il faut en effet souvent se reporter aux surtitres italiens pour se remémorer les répliques oubliées. Seul Thomas Morris, en Monsieur Lacouf plus fou chantant que nature, présente une diction à faire pâlir Michel Sénéchal. Il s'offre même plus tard le luxe d'interpréter le journaliste avec un accent anglais. On remarque aussi Elena Rossi, Thérèse aux formes idéales, dotée d'un abattage vocal et d'aigus ébouriffants. On reste au final heureusement surpris par le succès que rencontre cette production sur une scène "qui ne se passe pas à Paris", preuve, si il en fallait, que le génie comique de Poulenc n'a pas de frontières.

16 juillet 2005, Macerata, Don Carlo

Don Carlo de Giuseppe Verdi 
Andrea Silvestrelli (Filippo II), David Sotgiu (Don Carlo), Vladimir Stoyanov (Rodrigo), Z. Edmund Toliver (Il Grande Inquisitore), Ugo Guagliardo (Un frate), Michela Sburlati (Elisabetta di Valois), Tiziana Carraro (La principessa d'Eboli), Milena Josipovic (Tebaldo), Selma Pasternak (Voce dal cielo) - Gustav Kuhn (Direction musicale), Lorenzo Fonda (mise en scène),

Construit à l'origine au XIXème siècle pour pratiquer la palla a bracciale, un jeu de balle tombé un siècle après dans l'oubli, le Sferisterio de Macerata a eu la bonne idée de se reconvertir dans l'art lyrique dès les années 1920 dans la foulée du succès rencontré par le festival de Vérone. Comme son illustre modèle, on y savoure des spectacles en plein air, sur une vaste scène, plus longue que large, mais de manière moins démesurée, 5000 places contre 25000 à Vérone et surtout une acoustique d'une autre qualité. Don Carlo bénéficie donc ce soir d'un bel écrin que Lorenzo Fonda, va prendre un malin plaisir à saboter en l'habillant de vilains décors et en bâclant la mise en scène. 

Ainsi que le remarque Antoine, d'autres chanteurs seraient parvenus à s'abstraire d'un tel ratage et à composer malgré tout leurs personnages. Mais l'équipe réunie ne bénéficie pas de l'expérience suffisante pour surmonter l'obstacle. Il leur reste, les deux basses mises à part, la séduction de la jeunesse, la fraîcheur de la voix qui, sans être immense, parvient à s'acquitter de sa lourde tâche. Michela Sburalti, Eboli que le physique autorise à chanter sans faire sourire O don fatale, s'empêtre dans la chanson du voile mais reprend ses marques dans les ensembles et surtout dans la grande scène du troisième acte qu'elle conduit avec l'aplomb et l'énergie demandés. Vladimir Stoyanov, Rodrigo un peu monochrome, respecte la ligne et le phrasé pour trouver, à son tour, dans son dernier air, les accents qui empoignent. Michela Sburlati, reine blessée plus que de raison, campe une Elisabetta déchirée aux côtés d'un David Sotgiu fragile et sincère. Leur duo final constitue un de ces moments magiques que traque inlassablement l'amateur d'opéra, quand la musique le submerge enfin, quand les mots prononcés par la mère à l'infant se réalisent soudain, quand survient l'espace d'un instant "cet éternel absent qu'on nomme le bonheur".
 

Christophe RIZOUD
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