C O N C E R T S 
 
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PARIS
26/05/05
© Eric Mahoudeau
La Clemenza di Tito
opera seria en deux actes (1791)

Musique de Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
Livret de Pietro Metastasio adapté par Caterino Mazzolà

Direction musicale : Sylvain Cambreling
Mise en scène : Ursel et Karl-Ernst Herrmann
Décors et costumes : Karl-Ernst Herrmann
Costumes : Hervé Poeydomenge
Lumières : Karl-Ernst Herrmann et Heinz Ilsanker

Tito : Christophe Prégardien
Vittelia : Catherine Naglestad
Servilia : Ekaterina Siurina
Sesto : Susan Graham
Annio : Hannah Esther Minutillo
Publio : Roland Bracht

Choeurs et orchestre de l'Opéra national de Paris
Préparation des choeurs : Peter Burian

Opéra National de Paris, Palais Garnier
26 mai 2005, 19h30

Nouvelle production ou non ? Avec cette Clemenza di Tito déjà présentée à Bruxelles en 1982 (1), les détracteurs de Gérard Mortier trouvent encore matière à vilipender. Une fois n'est pas coutume, on ne se mêlera pas au choeur des contempteurs et, dans la chaleur du printemps retrouvé, on se contentera de gravir avec délice les marches fleuries d'un Palais Garnier en tenue de Gala, soirée AROP oblige. 

Sur scène, Ursel et Karl-Ernst Herrmann ne s'embarrassent pas d'un décor et choisissent de projeter les acteurs de la pièce dans un grand espace vide, uniformément blanc, qu'ils relèvent de temps à un autre par un accessoire : trône, chaise, colonne... Par contraste, les silhouettes, celle de Vittelia, surtout, habillée de robes flamboyantes, se détachent avec éclat. Seuls comptent alors les passions qui animent, les sentiments qui déchirent, irrémédiablement, sans espoir, jusqu'à l'issue désespérée, cette solitude absolue qui s'abat sur tous, bien éloignée du lieto fine imaginé par Métastase. La réussite de la mise en scène repose donc sur le geste et le mouvement, soigneusement étudiés, qui restituent aux grandes figures héroïques leur part d'humanité, condition indispensable pour que le spectateur s'implique et ne sombre pas dans cet ennui qui souvent le détourne de l'opera seria. Encore faut-il que les chanteurs puissent se prêter au jeu.

L'engagement de Susan Graham n'est plus à démontrer ; sa Didon reste présente dans toutes les mémoires et, dans bon nombre de lecteurs de DVD, si on en croit les chiffres des ventes du disque des Troyens (2) proposé dans la foulée des représentations parisiennes. Elle drape Sestus d'un chant sans faille, d'une étonnante jeunesse, que les émotions colorent sans jamais le corrompre. On pourra juste lui reprocher de dresser un portrait immuable du jeune homme, d'emblée vaincu, trop faible pour vraiment apitoyer, désespérément et sensuellement affidé à la fulgurante Vittelia de Catherine Naglestad.

Car, au contraire, la soprano américaine ne se fige pas dans une attitude mais, du début à la fin de l'oeuvre, de la vengeance au remord, trace un arc psychologique dont la précision subjugue. On oubliera la vocalise escamotée de "Deh se piacer mi vuoi" pour rester, à chacune de ses interventions, et jusque dans le moindre récitatif, définitivement suspendu à ses lèvres, ébranlé par la violence du trait, confondu par la séduction de la voix, l'assurance de la projection, le volume impérieux, du grave à l'aigu, envoûté. Face à une telle princesse, Christophe Prégardien, dont il s'agit des premiers pas sur la scène de l'Opéra de Paris, illustre évangéliste des Passions de Bach, ne peut que partiellement endosser l'héroïsme de Titus. Il privilégie alors la compassion et la sensibilité dans une approche fondée sur le respect des nuances, la science du mot et la noblesse du timbre.

Aveuglé par ces trois étoiles, on distingue plus difficilement les contours de la discrète Ekaterina Siurina ; les verdeurs, et c'est tant mieux, de Hannah Esther Minutillo, l'épaisseur fruste de Roland Bracht.

L'orchestre, sous la baguette implacable de Sylvain Cambreling, touche à la perfection. Sans forcer la dynamique, ni bousculer le rythme à la manière des baroqueux, sans pour autant basculer dans un quelconque académisme, le chef offre une version équilibrée et profonde de l'ouvrage. Il est dommage que les choeurs, placés en quarantaine derrière le décor, ne puissent contribuer autant que le promet la partition à cette formidable réussite sonore. 

Les spectateurs de l'AROP ont la main plus agile pour attraper les petits fours à l'entracte que pour applaudir. Durant la soirée, les airs les plus brûlants sont mollement accueillis. Au final, seuls Sylvain Cambreling et, surtout, Susan Graham, bombardée de roses comme dans Wertherau Châtelet la saison dernière, parviennent un tant soit peu à débrider l'assistance. George Bernard Shaw estimait que l'indifférence était l'essence de l'inhumanité ; une partie du public n'a apparemment pas compris la leçon que nous donnaient ce soir Mozart et l'Opéra de Paris.
 
 

Christophe RIZOUD

Notes

(1) Sylvain Cambreling, assurait déjà la direction musicale. La distribution comprenait S. Burrows (Titus), C. Eda-Pierre (Vitellia), C. Barbaux (Servilia), A. Nafé (Sestus), D ; Evangelatos (Annius), J. Bastin (Publius). Un enregistrement (live) est disponible chez Brilliant Classics.

(2) Les Troyens, mis en scène par Yannis Kokkos et dirigé par John Eliot Gardiner au Théâtre du Châtelet en octobre 2003.
 

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