Quel
sera l’artiste lyrique de l’année ? Natalie
Dessay, une nouvelle fois ? Non, car, lauréate en 2005,
elle ne peut empocher la palme deux fois de suite. Sophie Koch alors ou
Patricia Petibon, encore, ou, tiens un homme, Ludovic Tézier. A
vrai dire, on s’en moque un peu.
Paradoxe du paysage télévisuel français, les Victoires de la musique classique
laissent le mélomane indifférent. Il suffit pour le
vérifier de jeter un oeil sur les débats qui animent les
forums spécialisés en ce moment : le sujet
n’est quasiment pas abordé. L’émission
devrait pourtant alimenter les discussions ; ce n’est pas
tous les jours que la grande musique trouve une heure
d’écoute à sa dimension.
Et la révélation vocale ? C’est encore plus
drôle, on peut élire son favori, comme à la Star
Ac’. Un CD a été enregistré le 16
décembre dernier à la Cité de la musique dans les
conditions du direct et, accompagné d’un bulletin de vote,
distribué un peu partout à 1 million d’exemplaire.
La Callas ou le Bergonzi de demain y donne peut-être une
première démonstration de son art. Et si, avant de
zapper, on se penchait sur la question …
Evidemment, on enjambe sans vergogne les 8 premières plages du
disque, platement instrumentales. Bertrand Chamayou et Lise de La Salle
au piano, Damien Ventula armé de son violoncelle s’y
disputent la première place à coup de Chopin, Schumann,
Liszt, etc. Peu nous chaut ; il nous faut de la voix, n’y en
a-t-il plus au monde ? Rendez-vous sur la piste 9 :
Valérie Gabail ouvre le bal vocal.
Afin de ne pas influencer l’auditeur, d’éviter de
brouiller son écoute en suscitant involontairement une sympathie
pour tel ou tel candidat, le disque se présente privé de
commentaires : pas de notices biographiques, pas de photos. Le
titre des morceaux interprétés, sans même la
durée, un point c’est tout. Il faut s’en remettre
à son moteur de recherche favori pour en savoir un peu plus.
Ainsi, Valérie Gabail,
premier prix à l’unanimité de la classe de chant
d'Anne-Marie Rodde en 1996, appartient à l’univers
baroque. Marc Minkowski la remarque et lui offre ses premiers
rôles (Blonde dans l'Enlèvement au sérail, Drusilla et Poppée dans le Couronnement de Poppée). Puis on la retrouve à Beaune dans la Didon
de Desmarest, à Montpellier dans celle de Cavalli, etc. A
l’Opéra de Paris, elle chante en 2002 l’Amour et
Clarine dans Platée.
Elle participe d’ailleurs à la reprise de la production de
Laurent Pelly sur cette même scène en avril prochain.
Valérie Gabail - L'Amour dans Les Indes Galantes
(Direction : William Christie - mise en scène : Andrei Serban,)
Curieusement
pourtant, les airs qu’elle propose évitent ce
répertoire. Dommage car « Fantoche » de
Debussy et « Ganymed » de Schubert, quelles que
soient leurs qualités musicales, ne sont pas des pièces
« tout public », à
l’immédiate séduction, capables
d’enthousiasmer le néophyte comme l’amateur
chevronné. La vocalise finale de la première arrache les
applaudissements mais, auparavant, la mélodie, semblable au
papillon de nuit aveuglé par la lumière, virevolte, se
cogne à droite et à gauche sans permettre à la
voix de se poser et de déplier ses ailes. Quant au sens des
mots, essentiel, il se perd dans le tumulte. Sauf tempérament
exceptionnel, ce qui ne semble pas être le cas ici, la fantaisie
de Debussy se prête mal à la solennité du concours.
« Ganymed » constitue une meilleure entrée
en matière. La mélodie, moins heurtée,
dévoile la fraîcheur du timbre, son fruit, pulpeux sans
trop d’acidité mais aussi cette absence d’ampleur
propre aux chanteuses baroques. Bien difficile en tout cas pour celui
qui ne comprend pas l’allemand, privé du texte et de sa
traduction française, d’apprécier
l’interprétation et de maintenir son attention sans
ressentir à la longue un mauvais sentiment de monotonie.
Après ces deux mises en bouche, il ne reste plus qu’un
seul air pour convaincre. C’est un peu court, s’agirait-il
du plus intense, du plus varié en terme de sentiments,
tristesse, fierté, révolte, amour…
« Padre, germani… » extrait
d’Idomeneo de Mozart par exemple. Virginale et vaillante,
l’image d’Illia se dessine naturellement, la silhouette
aussi, souple derrière le drapé de la tunique. On tend
les bras pour l’enserrer. Il est déjà trop tard. Le
candidat suivant s’avance.
Florian Laconi,
âgé de 29 ans, débute sa carrière lyrique en
janvier 1999 dans le rôle de Faust de Gounod, rien que ça,
après avoir obtenu le grand prix d’opéra Gabriel
Dussurget au Concours International de Clermont Ferrand.
Opérette (Fritz de La grande Duchesse, Camille de Coutançon dans La veuve joyeuse,…) et opéra (Le chevalier de la Force de Dialogues des carmélites, Ferrando de Cosi fan tutte, Ramiro de La Cenerentola,…), son parcours compte déjà plus d’une vingtaine de rôle.
Ne
serait-ce pas un peu trop ? La question semble d’autant plus
légitime que l’écoute des trois airs
proposés laisse circonspect. Le vibrato parait trop large pour
être honnête ; « Die Bildnis ist bezaubernd
schön… » de Die Zauberflöte est impitoyable à cet égard tandis que « O Colombina » extrait de I Pagliacci
met en valeur la dureté du son, sa brutalité quand il
devrait s’agir de suavité. Heureusement survient Paris et
son récit du Mont Ida, viril, d’une belle articulation,
claire et distincte. Mais là encore, il est trop tard, le mal
est fait.
Alors, fidèle à l’adage, on garde le meilleur pour la fin. Sans surprise d’ailleurs, Nathalie Manfrino n’est déjà plus une révélation. En juillet 2005, elle se prêtait pour nous à l’exercice des 5Q. Roxane lumineuse auprès du Cyrano de Roberto Alagna, Mélisande transfigurée à Nice
en octobre dernier, un murmure de louanges accompagne chacune de ses
apparitions. Le répertoire français y trouve son compte
car la prononciation de notre langue n’est pas la moindre de ses
qualités.
Nathalie Manfrino (Sophie dans Werther à Turin)
Elle
le prouve avec l’air des bijoux de Faust et
l’« Adieu notre petite table » de Manon.
Tant de limpidité réjouit, tant de santé aussi. Et
puis le sourire qui illumine le « Oh Dieu des
bijoux » est contagieux. Peu importe après si le
suraigu final trouve ses limites, la partie est déjà
gagnée. Le public ne s’y trompe pas, les bravos fusent.
Suit l’air de Manon, modelé sur la parole comme il
convient, exhalé jusqu’au climax sensuel des
« lèvres de l’autre ».
Cette maîtrise du souffle sert aussi la romance « Oh
quante volte » de I Capuleti ed i Montecchi. Juliette de
Gounod sûrement plus que Giulietta de Bellini mais la couleur
reste romantique ; la pureté de la ligne compense les
quelques tensions de l’ornementation, le suraigu encore.
Inutile d’en ajouter, le choix est fait, la troisième case
cochée, le bulletin timbré. Sauf qu’au moment de
l’envoyer, la date est dépassée. Il fallait le
retourner avant le 16 janvier. Résultat des courses en direct le
1er février à 20h50 sur France 3 et France Inter.
Christophe Rizoud
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