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LIEGE
03/11/2006
© DR
Giuseppe Verdi (1813-1901)
Aïda
Mise en scène : Dieter Kaegi
Décors et costumes : Bruno Schwengl
Éclairages : Roberto Venturi
Chorégraphie : Barry Collins
Aïda : Adina Aaron
Amnéris : Olga Savova
Radamès : Swetan Michailov
Amonasro : Sergey Murzaev
Ramfis : Alexander Anisimov
Le Roi : Léonard Graus
Un messager : Guy Gabelle
La grande Prêtresse : Marie-Paule Dotti
Orchestre et chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie
Chef des chœurs : Edouard Rasquin
Direction : Alain Guingal
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A l’ombre de Cecil B. DeMille
La mise en scène de Dieter Kaegi continue de tourner, après notamment Erfurt et Monte Carlo
et se trouve pour une dizaine de représentations (avec deux
distributions en alternance) à Liège. Excellente occasion
donc de revoir cette mise en scène – une des plus
inspirées d’aujourd’hui avec celle de Pet Halmen
(voir forumopera Toulouse 18 février 2004)
– et de juger si elle tient toujours la route après
plusieurs années de représentations à travers le
monde. La réponse est sans contestes
« oui ».
De chaque côté de la scène, un grand Anubis noir
assis et un trône se font face : vis-à-vis symbolique
de la puissance de la religion et des prêtres (rappelons
l’anticléricalisme de Verdi) opposée à celle
de pharaon. L’un et l’autre seront les témoins
immobiles des affrontements entre Aïda, Amnéris et
Radamès, mêlant la vie, l’amour et la mort,
jusqu’à l’issue fatale.
L’action, transposée dans les années 1920-25,
s’appuie sur une évocation du tournage des films muets
pseudo archéologiques de l’époque (La Femme du Pharaon d’Ernst Lubitsch est de 1921, la première version des Dix Commandements de Cecil B. DeMille de 1923, et L’Esclave reine
de Michael Curtiz de 1925). C’est ainsi que le
défilé triomphal de Radamès ne
déséquilibre plus la représentation : il est
en effet remplacé par une réception holywoodienne fort
heureusement agrémentée d’une prestation
chorégraphique à la manière de Loïe Fuller
(qui dansa en Égypte, notamment devant le grand sphinx de Gizeh,
à la fin du XIXe siècle). De même, les
scènes d’affrontement entre les personnages,
resserrées par un dispositif scénique très
efficace, retrouvent toute leur importance. Rappelons qu’Aïda
est avant tout un opéra intimiste, fait de la confrontation de
quatre personnages principaux, qui se retrouvent en scène par
deux, voire par trois.
Le premier intérêt de la mise en scène ainsi
conçue, est de redonner au personnage d’Aïda une
présence de premier plan, au centre de l’action. Le second
intérêt est de permettre au personnage
d’Amnéris de s’imposer sans
déséquilibrer l’ensemble de la
représentation, tout en lui permettant des effets de
théâtre qui relancent sans cesse
l’intérêt. Et de fait, un des grands moments demeure
la scène dite « des appartements
d’Amnéris », transposée dans une salle
de sport où tout un escadron volant féminin
s’entraîne à l’escrime : l’habituel
ballet des négrillons est ici remplacé par des
échanges à fleuret moucheté remarquablement mis en
place, et donc d’une redoutable efficacité
scénique.
La première partie du quatrième acte est un autre de ces
grands moments de théâtre, où Amnéris,
déjà passablement éméchée, poursuit
Radamès de ses assiduités de part et d’autre
d’une immense table, une bouteille de whisky à la main. La
présence des juges (habituellement cachés) ajoute
à la force dramatique de la scène suivante. Les autres
confrontations entre Aïda et Amnéris, Amonasro et
Radamès, traitées d’une manière très
théâtrale, sont également d’une grande
efficacité. Amnéris menaçant dès le
début Aïda d’un révolver constitue
peut-être un acte un peu outré, mais lorsqu’elle
utilise sa badine puis son épée pour impressionner sa
servante, avant que de continuer placidement ses exercices sportifs
pendant que celle-ci chante son désespoir, on assiste à
de l’excellent théâtre, ce qui n’est pas si
fréquent à l’opéra.
On regrettera des éclairages paraissant un peu en
deçà de ceux des représentations d’Erfurt,
les rôles principaux restant parfois dans une relative
pénombre d’avant-scène (ou alors il s’agit
d’un problème de mise en place…). On regrettera
aussi une direction d’orchestre un peu molle, le chef
dépensant l’essentiel de son énergie à
entraîner certains chanteurs (notamment Ramfis et le Roi)
à suivre ses tempi et à moins ralentir.
Adina
Aaron, jeune cantatrice américaine, est bien connue dans le
rôle d’Aïda depuis sa prestation à Busseto en
2001 dans la mise en scène de Franco Zeffirelli
(représentation disponible sur DVD), dans le cadre des
manifestations commémorant le centenaire de la mort de Verdi
accompagnées d’un cours d’interprétation de
Carlo Bergonzi. Sa caractérisation du personnage est pleinement
convaincante, et si elle a paru accuser une certaine fatigue à
la fin de l’acte II, elle en était totalement remise pour
la seconde partie de l’opéra. Voix charnelle, jeu
scénique précis à la gestuelle efficace sans
être exagéré, elle est de celles qui laissent un
souvenir par la qualité de leur interprétation autant que
par leur prestation vocale.
Olga Savova, remplaçant quasiment au pied levé Elisabetta
Fiorillo, victime d’un accident, vient de l’Est, et plus
précisément du théâtre Marijnski. La pointe
d’accent russe dont elle agrémente le rôle
d’Amnéris ajoute comme un piment supplémentaire
à son interprétation. De fait, elle paraît
être entrée sans mal dans le personnage voulu par Dieter
Kaegi, et semble même y trouver un certain plaisir. La voix
n’est pas immense, mais l’équilibre
général de la représentation y gagne certainement,
d’autant qu’il s’agit d’une cantatrice
d’une grande honnêteté, puisqu’elle chante
toutes les notes de la partition, ce qui n’est plus si
fréquent aujourd’hui, tout particulièrement en ce
qui concerne le rôle d’Amnéris.
Zwetan Michailov a une belle couleur de voix, encore qu’un peu
tendue au lever de rideau ; mais sa prestation s’affirme au
cours des actes, et son personnage est finalement totalement
crédible. Quant à Sergey Murzaev, il interprète
vaillamment un très bon Amonasro de grande tradition.
Donc, au total, une excellente représentation, dont les atouts
majeurs sont l’homogénéité vocale du
plateau, et une mise en scène qui prouve sa solidité
à l’épreuve des reprises et des changements de
distributions. Car l’important, dans une représentation
théâtrale, est bien d’entraîner les
spectateurs à adhérer à ce qui se passe sur
scène. Or à cette première liégeoise, le
public, a priori point totalement convaincu par la nouveauté du
propos, m’a néanmoins paru très bien
« marcher » au fil de la découverte de
cette toujours aussi intelligente qu’intéressante
relecture d’Aïda.
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