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ORANGE
11/07/2006
© Chorégies d'Orange
Giuseppe VERDI (1813 - 1901)
AÏDA
Opéra en 4 actes
Livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après Camille du Locle et Auguste Mariette Bey
Direction Michel Plasson
Mise en scène : Charles Roubaud
Scénographie : Emmanuelle Favre
Animations vidéo : Gilles Papain
Costumes : Katia Duflot
Chorégraphie : Brice Mousset
Eclairages : Vladimir Lukasevitch
Aïda : Indra Thomas
Amnéris : Marianne Cornetti
Une prêtresse : Marie-Paule Dotti
Radamès : Roberto Alagna
Amonasro : Seng-Hyoun Ko
Ramfis : Orlin Anastassov
Le Roi : Daniel Borowski
Un messager : Martial Defontaine
Orchestre national de Lyon
Chœurs du Théâtre du Capitole de Toulouse,
de l’Opéra de Monte-Carlo
et de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse
Orange, 11 Juillet 2006
(lire également le point de vue de C. Jottrand)
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Orange mi-figue, mi-raisin
Fini le temps où « la »
représentation d’Orange était absolument unique.
Aujourd’hui, chaque spectacle est donné deux fois, ce qui
permet de confirmer ou d’infirmer les impressions de la
générale et de la première. Fini également
le temps où trois ou quatre super-vedettes internationales se
partageaient le plateau. Y gagne-t-on en
homogénéité ce que l’on perd en
éclat ? Fini enfin le temps où les décors
pharaoniques envahissaient le plateau, accrochant merveilleusement la
lumière des projecteurs mais horripilant les spectateurs par des
changements interminables, devenant parfois même dangereux pour
les chanteurs menacés dans leur équilibre lorsque ceux-ci
ont lieu en cours de représentation (Grace Bumbry avait failli
tomber d’un praticable en 1976).
Cette question des décors est pour Orange cruciale, et plusieurs
points de vue militent pour les réduire au maximum :
d’abord, il y a peu de temps pour les installer et peu de
dégagements pour les stocker ; ensuite, leur coût
croissant malgré l’utilisation d’ateliers de plus en
plus lointains s’accommode mal des injonctions
d’économies adressées au metteur en
scène ; enfin, les proportions de la scène
d’Orange, sans être extrêmes comme celles du
Sferisterio de Macerata, se caractérisent par une immense
ouverture pour une profondeur relativement faible. Les choix de Charles
Roubaud sont drastiques : respect du
« mur », sobriété des
éléments scéniques (deux praticables au centre, un
à droite précédé d’un large escalier,
cinq portes égyptiennes équitablement réparties
sur le mur romain et des dessins en grisaille sur le sol à la
manière de la Description de l’Egypte). Le reste est affaire de vidéo, mais rien à voir ici avec le Tristan
de Bastille : les projections restent de très discrets
appoints (parfois trop discrets ?), hiéroglyphes couvrant
le mur, croix ansée de feu, éléments
décoratifs divers, ne venant jamais prendre le pas sur
l’action ni sur les chanteurs. Les costumes, de couleur noire,
blanche, jaune, se mêlent idéalement à ce parti
pris esthétique.
La mise en scène en elle-même est nerveuse et bien
menée. Mais, bien qu’habitué des grands espaces
(Charles Roubaud a signé en 2001 un mémorable Rigoletto
à Vérone dont une vidéo nous garde le souvenir),
le metteur en scène, obligé de meubler l’espace,
place souvent les chanteurs un peu loin les uns des autres, ce qui
devient parfois gênant dans les duos. De même, certaines
entrées qui obligent à parcourir une longue distance
avant de se trouver au cœur de l’action sont un peu
risquées, surtout pour certaines chanteuses qui peuvent avoir du
mal à se déplacer vite (la première entrée
d’Amnéris est à cet égard faible, alors que
c’est un des moments de l’œuvre importants tant
musicalement que scéniquement). En revanche, les scènes
de foules sont parfaitement réglées, avec des innovations
particulièrement bienvenues, comme l’entrée
d’Amnéris avec ses suivantes à l’acte II. Le
triomphe de Radamès, au lieu du sempiternel
défilé, est constitué de l’évocation
d’une grande barque royale au centre de laquelle il est
juché, tandis que d’amusants pom-pom boys and girls font
tournoyer en cadence des étoffes d’un bleu éclatant
évoquant les flots (bleus ?) du Nil (plutôt verts par
tradition).
Pour ce qui concerne le jeu des acteurs, qui est dans l’ensemble
plutôt bon, il faudrait évidemment connaître le
temps consacré aux répétitions, et ce que les
chanteurs ont réussi à transmettre au public des
indications du metteur en scène. Mais de toute évidence,
le Radamès de Roberto Alagna pâtit grandement de
l’art de la scène déployé par ses
partenaires. Bien sûr, Radamès est le jouet
d’événements qui le dépassent, mais encore
le chanteur pourrait-il donner l’impression de comprendre ce qui
lui arrive ou au moins de paraître plus concerné.
Ah ! Bergonzi et Domingo se battaient, eux, contre les
éléments, et dès leur entrée montraient
qu’ils en avaient… C’est d’autant plus
étrange qu’en répétitions, Alagna semblait
bien en phase et très décontracté ; en
représentation, figé, les yeux trop souvent
fermés,
Roberto Alagna - Indra Thomas
© Chorégies d'Orange
Côté
voix, la grande nouveauté aurait pu être constituée
par la présence d’un nouveau toit au-dessus de la
scène du théâtre antique, remplaçant celui
qui existait à l’époque romaine, mais dans des
matières plus modernes (poutrelles métalliques et verre)
nullement choquantes. Au dire des spécialistes, il n’a en
rien abîmé l’acoustique du lieu, mais
n’offrirait pas une meilleure projection des voix. A ce sujet, la
grande triomphatrice de la soirée est sans conteste Indra Thomas ;
sera-t-elle une des grandes vedettes de demain ou l’une de ces
Aïda étoiles filantes (Gilda Cruz-Romo et Aprile Milo pour
ne parler que d’Orange) ? Les promesses de cette fort belle
chanteuse sont grandes : voix somptueuse, réserves
énormes, jeu scénique puissant. Simplement, dans le
médium et dans les graves, conviendrait-il qu’elle pense
plus « Verdi » que
« Gershwin » : Porgy and Bess,
parfois, n’était pas loin… Marianne Cornetti est
une bonne routière du rôle d’Amnéris
qu’elle chante notamment à Vérone depuis des
années. Elle nous a donné de beaux moments
d’émotion, sans déséquilibrer la
représentation à son profit comme tant d’autres.
Mais combien elle aurait intérêt à reprendre
certains passages de la partition avec une bonne chef de chant :
s’il vous plaît, mesdames les Amnéris, revoyez par
exemple la partition de la scène des appartements
d’Amnéris, et chantez-nous toutes les notes au lieu de
savonner en vous disant que personne ne s’en apercevra. Pour ce
faire, pensez à Verdi, à Cossoto, à Zajick,
à qui vous voudrez, mais surtout pensez que le public a le droit
d’entendre toutes les notes.
Roberto Alagna a certainement une belle voix, mais n’est-il
pas trop sûr de lui ? N’aurait-il pas mieux valu
qu’il rôde plus le rôle de Radamès avant de
l’attaquer à Orange ? Le Céleste Aïda
s’est traîné désespérément
malgré les efforts méritoires de Michel Plasson pour
entraîner la vedette qui, elle, s’appliquait sans
s’occuper du reste à émettre des sons de
qualité : et l’accord avec l’orchestre, et le
sens du texte, dans tout ça, et le jeu scénique ?
Résultat, un grand moment d’ennui et seulement dix
secondes d’applaudissements mous, montre en main à la fin
d’un air qui, normalement, doit soulever l’enthousiasme des
foules. Et tout au long de la représentation, pour quelques
rares moments magiques, exceptionnels, que de notes tenues plus
longtemps et plus forts que les collègues dans les ensembles,
que de fautes de style… De plus, le chanteur est resté
toujours en retrait sur l’action, et plus encore dans les
ensembles où visiblement il se ménageait au profit de la
scène finale. Bref, sauf gros travail, Alagna ne paraît
pas devoir être le Radamès de la décennie. Quant
à l’Amonasro du Coréen Seng-Hyoun Ko, il fut tout
à fait honorable.
Au total, néanmoins une belle représentation, bien
équilibrée, bien menée par Michel Plasson. Quatre
chanteurs de qualité dominés par une exceptionnelle
Aïda, hélas encore bien éloignés de ceux que
l’on a pu applaudir à Orange (et ailleurs) dans les
années 70 et 80.
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