OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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VERONE
05/07/2007
 
© Photo Jean-Marcel Humbert

Giuseppe VERDI (1813 - 1901)

AÏDA 

Opéra en 4 actes
Livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après Camille du Locle et Auguste Mariette Bey

Mise en scène : Giampiero Solari
Scénographie et costumes : Sergio Tramonti
Eclairages : Paolo Mazzon

Aïda : Hui He
Amnéris : Marianne Cornetti
Radamès : Frank Porretta
Amonasro : Ambrogio Maestri
Ramfis : Giorgio Surian
Le Roi : Duccio Dal Monte
Un messager : Enzo Peroni
Une prêtresse : Antonella Trevisan

Orchestre et chœurs des Arènes de Vérone
Direction : Daniel Oren

Vérone, arènes, 5 juillet 2007

Fermer les yeux ou se voiler la face ?

Deuxième jour. Après un voyage sous une pluie battante, et les plus grandes inquiétudes pour la représentation, le vent se lève vers 17 h et balaie en un clin d’œil tous les nuages. Le micro-climat de Vérone a joué, pour ce soir, dans le bon sens… Mais passer du jour au lendemain d’un théâtre à l’italienne traditionnel (Zurich) aux arènes de Vérone (18 000 places) constitue évidemment un choc, sur les plans tant émotionnel que sonore. Encore que le fait d’être un habitué des lieux depuis les années 1960 rende les choses plus faciles…

Depuis 1913, plus de 500 représentations d’Aïda ont été données dans ce lieu mythique, avec les plus grands chanteurs du moment, et devant des gradins toujours bondés (soit à ce jour près de 8 millions de spectateurs pour ce seul spectacle). Mais aujourd’hui, les choses ne sont plus tout à fait ce qu’elles étaient voici encore quelques années. Une certaine usure du lieu, une perte du sens de la fête locale au profit d’un tourisme international et notamment germanique (le programme ne comporte même plus de textes en français !), des faiblesses de distribution, mais aussi un élargissement du calendrier des représentations peuvent expliquer que les arènes ne fassent plus « salle comble » tous les soirs. La question du son fait également l’objet de débats. Pourtant connues de longue date pour l’excellence de leur acoustique, les arènes sont aujourd’hui sujettes à critiques. Personnellement, tout en reconnaissant que certaines zones sont moins bonnes que d’autres, je persiste à dire que le son y est excellent pour des tympans en état normal. Enfin, l’abandon progressif des « super productions hollywoodiennes » pour des raisons de coût et de lenteur des changements de décors doit également expliquer une certaine désaffection du public. Face à ces constatations et à ces analyses, la direction cherche à renouveler les spectacles, en proposant des mises en scène et scénographies totalement repensées, dont les extraordinaires Gioconda (Pier Luigi Pizzi) – spectacle plus élitiste qui n’a malheureusement pas fait courir les foules – et Traviata et Bohème mises en scène respectivement par Graham Vick et Arnaud Bernard.


© Photo Jean-Marcel Humbert

Dès l’entrée dans les arènes, un coup d’œil vers la scène suffit à faire comprendre que la production est minimaliste. Comme pour faire regretter plus encore ce parti pris d’abandonner le côté spectaculaire de l’œuvre qui faisait la gloire des arènes, le programme est truffé d’illustrations empruntées aux scénographies véronaises de quelques uns des grands anciens : Ettore Fagiuoli, Nicola Benois, Attilio Colonnello, Vittorio Rossi et Piero Zuffi. Ce soir, nous en sommes bien loin : de chaque côté de la scène, deux colosse égyptiens momifiés et tournant le dos aux spectateurs, paraissent d’autant plus perdu et incongrus qu’ils ne se raccrochent à rien. Entre eux, là où l’on avait l’habitude de voir des évocations des palais et des temples de l’ancienne Égypte, les gradins de l’espace scénique sont totalement dégagés ; une vague pyramide y est parfois projetée, à d’autres moments le miroitement du Nil, et pendant la scène finale en gros plan (mais peu visibles) les visages des deux amants. L’intérêt majeur de cette scénographie est de dégager sur scène un espace central suffisant pour accueillir les scènes de foule, sans pour autant noyer les scènes intimistes. Autre point positif, les couleurs de pierres rouge sombre où se fondent figurants et choristes dont les djellabas et turbans de bédouins sont de la même couleur.
Mais l’ensemble reste bien terne, pour ne pas dire tristounet. Alors, pour donner un peu de peps à tout ça, mettons une bonne dose de kitch du plus mauvais goût : sous une voûte de lumière créée par quatre projecteurs laser, dans laquelle des milliers d’insectes viennent se retrouver, des sarcophages rouges et verts éclairés de dessous comme autant de braises incandescentes parsèment un genre de champ de fouilles bouleversé ; pour faire bonne mesure, les vapeurs mauves puis blanches qui courent sur le sol sont accompagnées de lancers de paillettes, de jets de gaz enflammé (voir le compte rendu d’Aïda à Bercy !) et de feux d’artifice surprennent sans convaincre ; et, pour couronner le tout, on amène les quatre protagonistes du triomphe juchés sur des praticables à roulette du plus étrange effet, sous un défilé d’éléphants coiffés du némès pharaonique (!) et suspendus en hauteur à un filin traversant la scène dans le genre linge qui sèche : là, on frôle le théâtre de patronage, et le tout a généré, selon la formule consacrée, des mouvements divers dans le public…


© Photo Jean-Marcel Humbert

Daniel Oren, particulièrement routinier ce soir, se démène comme un beau diable sans parvenir vraiment à entraîner le plateau, et sans empêcher des décalages qui interviennent trop souvent ; mais bon, l’étendue de la scène et le fait qu’on n’en soit qu’à la troisième représentation peuvent justifier cela. Heureusement, la distribution est solide et comme toujours à Vérone hyper professionnelle. L’Aïda de la cantatrice chinoise Hui He est parfois émouvante, bien qu’elle joue à peu près comme Sarah Bernhardt, soulignant de grands gestes le moindre des effets musicaux. Sa prestation vocale – on aime ou non ce genre de voix –, à la fois puissante et tout en nuances, est d’un meilleur niveau ; visiblement, elle a beaucoup écouté Maria Chiara, sans néanmoins encore l’égaler. Face à elle, Frank Porretta, curieusement habillé d’une cuirasse romaine et d’une longue jupe à la japonaise, est le Radamès le plus fougueux et le plus intéressant scéniquement parlant dont on puisse rêver, mais en revanche sa prestation vocale est encore un peu verte. Marianne Cornetti est égale à elle-même et à sa prestation d’Orange l’an dernier, avec un petit plus puisque, particulièrement en forme, elle a terminé la représentation en confondant Amnéris et la méchante reine de Blanche-Neige… (les flots sur les gradins passent du vert Nil au rouge sang : il faut bien qu’on aide les spectateurs à comprendre ce qui se passe). Quand même énervé d’entendre la Cornetti toujours savonner les mêmes endroits, j’ai demandé à une autre Amnéris de m’en expliquer la raison. Ce que je croyais être un laisser aller par rapport à la partition est en fait un problème de technique vocale qu’elle m’a savamment expliqué : et si elle ne le fait pas bien, c’est qu’elle ne peut pas le faire mieux, et ce n’est donc pas de la négligence, dont acte. Pardon Marianne pour mes commentaires d’Orange… Ambrogio Maestri en fait également beaucoup, mais après tout, il assure dans la grande tradition un personnage fait d’un bloc. Que dire des prestations dansées, à base de déhanchements et de mouvements synchronisés mal travaillés. On a eu droit bien sûr aux femmes voilées, aux négrillons à tête blanche, à des danseuses genre derviche tourneur, bref à un peu tout et n’importe quoi fait un peu n’importe comment.


Hui He et Ambrogio Maestri
© Photo Tabocchini e Gironella


Et c’est parti pour 17 représentations jusque début septembre avec trois distributions différentes d’où on isolera notamment Amarilli Nizza, Dolora Zajick et Marco Berti.
Pour conclure, je ne suis pas sûr que ce soit avec ce genre de production que les Arènes de Vérone vont faire venir un public nouveau, et encore moins le fidéliser… En tous cas, cette Aïda globalement vulgaire et kitch malgré le talent des interprètes, n’est pas du bon théâtre populaire tel que celui auquel on est en droit d’attendre de Vérone. Continuons donc notre quête, prochaine étape : Avenches.



Jean-Marcel Humbert
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