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STRASBOURG
20/05/2006
© Alain Kaiser
Giuseppe VERDI (1813-1901)
DON CARLOS
Grand opéra en cinq actes
Livret de François-Joseph Méry et Camille du Locle,
d'après Friederich Schiller
Créé le 11 mars 1867 à l'Opéra de Paris
Version de Modène (1886) – Livret original français
Direction musicale : Marco Guidarini
Mise en scène : Gustav Rueb
d'après un concept original de Christof Loy
Décors : Herbert Murauer
Costumes : Bettina Walter
Lumières : Reinhard Traub
Elisabeth de Valois : Nataliya Kovalova
Eboli : Laura Brioli
Don Carlos : Andrew Richards
Rodrigue, Marquis de Posa : Ludovic Tézier
Philippe II : Nicolas Cavallier
Le Grand Inquisiteur : Sami Luttinen
Un Moine : Günes Gurle
Thibault : Susanne Kirchesch
Le Comte de Lerme : Alain Gabriel
Un héraut royal : Mario Montalbano
La Voix du Ciel : Ainhoa Zuazua Rubira (à Strasbourg)
Malia Bendi Merad (à Mulhouse)
Choeurs de l'Opéra national du Rhin - Choeurs auxiliaires
Direction des Chœurs : Michel Capperon
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Nouvelle production
Strasbourg, Opéra, 20 mai 2006
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Carlos sauvé par Posa
Don Carlo(s) fait partie de ces ouvrages, à l’instar de Boris Godounov ou Les Contes d’Hoffmann,
dont la complexité des différentes versions plus ou moins
achevées ou/et plus ou moins accréditées par le
compositeur lui-même, ressemble à une jungle.
La renaissance du Don CarloS -
en français donc - a été marquée par
l’enregistrement de Claudio Abbado en 1985 puis par la
mémorable production de La Monnaie et du Châtelet
(Pappano/Bondy) en 1996. Il s’agissait dans ces deux cas de la
version en 5 actes conçue pour l’Opéra de Paris par
Verdi.
Ce que nous propose l’Opéra du Rhin est un Don CarloS
en français, pourtant il ne s’agit pas de la version
originale parisienne mais de la dernière mouture de
l’ouvrage, modelée par Verdi en 1886 en italien.
L’Opéra du Rhin a juste rétabli le texte original
français sur cette version, ce qui est quelque peu critiquable.
Quitte à vouloir monter un Don CarloS
français, autant prendre - avec ou sans les quelques coupures
prévues par Verdi - la version originale, plutôt que de
réaliser un tripatouillage non conçu par le compositeur,
énième version d’un ouvrage qui en compte
déjà près d’une dizaine.
De même, quitte à monter un Don CarloS,
autant présenter une distribution entièrement
francophone, qui plus est en France... Ici, le texte est plus ou moins
bien servi, de l’excellence de la diction au baragouin
indéfinissable.
Ceci étant dit, il faut louer en premier lieu la qualité globale de l’exécution musicale de ce Don Carlo/s.
La distribution nous propose notamment celui qui est peut-être
l’un des plus beaux Posa qu’il nous ait été
donné d’entendre sur scène ou au disque :
Ludovic Tézier. Le chanteur éblouit par une technique
sans faille (l’admirable gestion du passage assure ainsi une
homogénéité confondante), une projection et un legato
admirables, une prononciation parfaite qui ne brise jamais la ligne de
chant et bien sûr, un timbre superbe. Tout juste lui
reprochera-t-on une certaine placidité : un surplus
d’engagement et d’émotion parachèvera ce qui
est déjà une interprétation majeure du rôle.
Le Don Carlos d’Andrew Richards montre certes quelques
crispations dans l’aigu en première partie de
soirée, quelques maladresses dans l’expression dramatique,
mais au fur et à mesure de la soirée, le timbre, fort
beau, s’épanouit, et le chanteur, de plus en plus à
l’aise, emporte l’adhésion. A noter de louables
efforts de prononciation.
On notera le même souci chez la Marguerite de Nataliya Kovalova
connue à Strasbourg pour sa magnifique Tatiana d’Eugène Oniéguine
en octobre dernier. Il s’agit d’une voix typiquement slave
(ce qui ne manquera pas de gêner certains auditeurs en manque
d’italianita) dont la solidité sur tous les registres (y
compris le grave, fort sollicité dans ce rôle),
l’attaque franche des aigus, l’expression et
l’émotion que la chanteuse sait insuffler à son
chant ont fait chavirer la salle. Jusqu’au crucifiant grand air
du dernier acte, Kovalova a remarquablement maîtrisé un
rôle parmi les plus exigeants du répertoire verdien.
Le Philippe II de Nicolas Cavallier nous a paru en retrait. Davantage
baryton-basse que basse, la voix semble malgré tout manquer
d’assise et ne semble pas s’épanouir comme elle le
devrait. Du coup le personnage n’affiche pas
l’autorité que réclamerait le personnage. Mais
admirons là encore une prononciation parfaite, ce qui nous
vaut une extraordinaire scène avec Posa à l’acte
II.
L’Eboli de Laura Brioli est certainement
l’élément le plus contestable de la distribution.
La voix sonne avec des harmoniques aiguës très
marquées, ce qui rend le timbre assez acide. Le chant est en
outre comme forcé, certaines respirations sont mal venues et le
français totalement incompréhensible. Le
tempérament dramatique ne compense certes pas entièrement
ces défauts mais la chanteuse ne méritait pas une telle
bronca de la part de certains spectateurs.
Autre élément fort discutable, le Grand Inquisiteur de
Sami Luttinen. Là encore, le chant est tout en force, avec
notamment des graves écrasés, avec un
« graillon » apparaissant très vite sans
que le chanteur ne fasse quoi que ce soit pour le faire
disparaître (au point qu’on a envie de tousser pour
lui !), très déplaisant.
Il en est un peu de même avec le Moine de Günes Gurle,
où le manque de distinction est un handicap sérieux pour
un personnage qui ne devrait être que noblesse. La prononciation
du français étant en outre défectueuse, on se
demande pourquoi on n’a pas engagé un jeune baryton
francophone pour un rôle aussi court...
Notons encore un très bon Thibault de Susanne Kirchesch mais une
Voix du Ciel bien trop terrienne d’Ainhoa Zuazua Rubira : la
largeur de la voix et le vibrato
semblent inadaptés à la sublime mélodie qui
devrait être bien plus éthérée. La
sonorisation excessive de cette intervention n’arrange rien.
Les chœurs nous ont agréablement surpris par leur
homogénéité et la qualité de leurs
interventions. Mention spéciale aux Moines de
l’Inquisition - superbes - et aux Députés flamands.
Enfin, louons la magnifique direction de Marco Guidarini dont le
travail d’un soin et d’une finesse extrêmes à
la tête d’un attentif Orchestre Philharmonique de
Strasbourg est absolument fascinant. L’art avec lequel le chef
modèle les préludes instrumentaux et toutes les fins de
tableaux pianissimo en
portant la musique vers le silence est proprement admirable. Aucun
laisser-aller vers de faciles effets auxquels ce répertoire
prête parfois, mais au contraire une grande et rare
probité. On pourra parfois regretter un plus grand impact dans
certains fortissimo et certaines articulations, mais ce que l’on gagne en modelé dans le travail instrumental est sans prix.
La correspondance entre cette direction d’orfèvre refusant
toute grandiloquence et une mise en scène affichant la
même volonté est-elle un hasard ?
Christof Loy (qui a cédé sa place à Gustav Rueb en
cours de répétitions) n’a en effet pas voulu
recréer le grand spectacle que l’on associe à cet
opéra de Verdi. Tout comme le fit par exemple Pierre Strosser
pour Carmen, Christof Loy a voulu centrer l’action sur les
sentiments des personnages et les conflits humains (la direction
d’acteurs est, de fait, parfois intéressante), et ce, en
présentant souvent un cadre de scène resserré et
en évacuant toute pompe.
Le problème est que si la chose est envisageable pour Aïda par exemple, cela nous semble beaucoup moins pertinent pour Don Carlos.
Les agissements des personnages dépendent en effet
énormément de leur place dans la société si
ce n’est dans l’Histoire. Il est ainsi difficile de
chercher à évacuer celle-ci au profit d’une plus
grande intimité qui vise à transformer l’intrigue
en une saga familiale comme cela nous a été un peu
montré dans cette production.
© Alain Kaiser
La mise
en scène nous affuble par ailleurs
d’éléments contemporains qui n’apportent pas
grand chose : la transposition dans l’époque moderne,
les vigiles de sécurité à chaque apparition de
Philippe II, les gradins d’opéra face au public pour le
tableau de l’autodafé, les cellules de mise à mort
avec chaise électrique etc. : tout cela est un
mélange d’images déjà vues et dans un cadre
autrement convaincant (Les Contes d’Hoffmann de Carsen, Platée de Pelly, Theodora
de Sellars...). Si le tout « marchait », on
serait plus indulgent, voire enthousiaste, mais à plusieurs
reprises, ça ne marche pas ou pire, est totalement
incompréhensible.
Ca ne marche pas lorsque l’acte de Fontainebleau se passe dans
une pièce fermée et que Don Carlos n’allume pas de
feu alors qu’il ne manque pas de l’évoquer, cela ne
marche pas lorsqu’une foule bigarrée - dont certaines
personnes sont habillées comme des rappeurs et d’autres
tiennent des banderoles réclamant l’indépendance
(des Flandres) - s’agenouille devant le grand Inquisiteur et
Philippe II (imagine-t-on les manifestants anti-CPE
s’agenouiller devant Chirac ou Benoît XVI ?),
ça ne marche pas lorsque Posa réclame son
« épée » à Carlos braquant
un pistolet etc.
Philippe II : Nicolas Cavallier
Don Carlos :Andrew Richards
Marquis de Posa : Ludovic Tézier
© Alain Kaiser
C’est incompréhensible lorsque l’on voit le
moine/Charles Quint déguisé en fakir (ou en
Christ ?) ensanglanté, c’est incompréhensible
lorsque l’on voit la mention « Plus ultra »
(en lettres romaines), digne d’une publicité pour un
dentifrice ou une lessive, trôner au-dessus des gradins de
l’autodafé, c’est incompréhensible de voir
des hommes au physique de marginaux ou/et de camionneurs se faire
traîner sur des chaises électriques à la fin de
l’autodafé et dont on se demande ce qu’ils ont
à voir avec les députés flamands etc.
C’est enfin ridicule de voir par exemple une pauvre femme noire
se jeter aux pieds d’Elisabeth au début de
l’autodafé en suppliant on ne sait trop quoi, puis
être emmenée virulemment par des vigiles de
sécurité.
Mais surtout, lorsque tous ces éléments qui
n’apportent finalement rien à l’ouvrage
s’accumulent au fur et à mesure des 5 actes,
l’agacement puis l’énervement finissent par gagner,
et il ne faut pas s’étonner qu’un impressionnant
déferlement de huées (chose rare à
Strasbourg !) ait accueilli le metteur en scène et son
équipe. Le contraste avec la non moins impressionnante ovation
réservée à Ludovic Tézier n’en
était que plus rude pour l’équipe scénique.
Le travail de mise en scène se serait concentré sur
l’aspect intime, sans l’ajout de références
contemporaines, absconses et très « mode »
qui n’apportent rien, l’intérêt bienveillant
du spectateur aurait pu être chatouillé, mais en
l’état, on ne peut être que consterné, et
très irrité, devant un tel ratage.
Pierre-Emmanuel Lephay
Prochaines représentations :
STRASBOURG, Opéra
23, 26, 28, 31 Mai, 3, 6 Juin
MULHOUSE, Filature
23 & 25 Juin
www.operanationaldurhin.com
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