Jamais
deux sans trois. Nous brandissions l'adage comme une promesse l'année
dernière, galvanisés par La
Fida Ninfa que venait de nous offrir Jean-Christophe Spinosi après
avoir, la saison précédente, sorti brillamment Orlando
Furioso (1) des sentiers battus par Claudio Scimone.
Hélas, force est de constater à l'écoute de cette
Griselda
que les proverbes mentent parfois.
Pourtant, le livret, revu et corrigé
par Goldoni, semble prometteur. Enfin une histoire qui se détourne
des poncifs habituels. Le roi Gualtiero, pour prouver à ses sujets
la valeur de son épouse Griselda, lui impose une série d'épreuves,
de la répudiation à l'annonce de son mariage avec sa propre
fille Costanza. La reine bafouée, humiliée reste malgré
tout fidèle jusqu'au lieto fine bien mérité.
La lecture de l'argument laisse imaginer des airs emprunts de fureur, de
désolation, bref de cette passion vibrante à laquelle nous
a accoutumé depuis sa spectaculaire renaissance lyrique le prêtre
roux. Malheureusement, la partition refuse d'obéir à la trame
intelligemment tissée et cumule contresens dramatiques et manque
d'inspiration dans le choix des climats et des mélodies.
A ce défaut d'écriture
s'ajoutent pour le moins deux erreurs de distribution. Le tempérament
de Sonia Prina, l'énergie, la largeur de la voix, la virilité
presque, l'emportent plus vers le perfide Ottone que vers la tendre Griselda.
D'autant que le rôle, composé spécialement pour Anna
Girò, tragédienne avant d'être chanteuse, est musicalement
sacrifié.
A contrario, Blandine Staskiewicz manque
cruellement de férocité et de graves pour camper le chevalier
persécuteur. Griselda aurait mieux convenu à son caractère
et à sa plastique tant vocale que physique. Elle doit, de plus,
et pour son malheur, affronter le fantôme de Cecilia Bartoli dans
sa dernière aria "Dopo un orrida procella". La comparaison
rend encore plus évidente l'absence de volume dans les notes les
plus basses et la difficulté à gérer les changements
de registre.
Le même spectre menace Veronica
Cangemi confrontée, quant à elle, à l'impitoyable
"Agitata da due venti" dont s'était jouée La Bartoli à
Vicenze en juin 1998. Le soprano argentin montre aussi ses limites dans
la profondeur de la tessiture mais surmonte les incroyables vocalises.
Elle finit par renverser les dernières réserves en exhalant,
piano, dans "Ombre Vane", des aigus lumineux qui épinglent
l'assistance enfin chavirée.
Pour Stefano Ferrari, l'obstacle à
franchir est immédiat, dès sa première intervention
"Se ria procella", placée au tout début de l'oeuvre après
un bref récitatif. Raidi par le trac, le ténor s'applique
à escalader et dévaler la gamme à toute vitesse au
mépris de l'expression, mais à l'impossible nul n'est tenu.
Il s'épanouit mieux ensuite dans des airs plus sages qui valorisent
son timbre, sans pourtant se départir d'une certaine placidité.
En tendre amant de Costanza, Philippe
Jaroussky renouvelle la démonstration de son extraordinaire
musicalité. Le rôle de Roberto ne contient malheureusement
pas de ces joyaux qu'aime à ciseler finement le contre-ténor.
Privé d'un autre "Sol da te, mio dolce amore", il ne peut proposer
que des éclats de gemme dont nous devons nous contenter, les yeux
fermés, lorsque, angélique, la voix module le mot "dolore"
ou s'unit tendrement à celle de Veronica Cangemi dans un "addio"
à tirer les larmes.
Et s'il faut vraiment une révélation,
alors elle s'appelle Iestyn Davies. Bien que Corrado soit le personnage
le plus insignifiant d'une oeuvre qui ne brille guère par ses caractères,
il sait saisir les maigres occasions offertes pour exposer avec assurance
le naturel de la projection, le maintien de la ligne, la clarté
du son, qualités qui donnent envie de le retrouver dans un rôle
plus consistant.
L'Ensemble Matheus, emporté
fiévreusement par Jean-Christophe Spinosi, privilégie les
angles et la rupture au détriment de la courbe, des pleins et des
déliés. Ce rythme est nécessaire pour maintenir une
attention que la musique seule ne retiendrait pas. Les cuivres, en violant
effrontément la justesse, achèvent de réveiller le
public ébahi.
Jean-Christophe Spinosi déclarait
dernièrement "La Griselda est une oeuvre magnifique... elle
rassemble en effet toutes les qualités qui sont celles du Vivaldi
compositeur d'opéra que l'on connaît". Qu'il nous soit permis
de ne pas partager son avis puisque sur l'essentiel nous restons d'accord,
quand, dans la même interview (2), le chef d'orchestre
affirme"... Antonio Vivaldi un des plus grands compositeurs d'opéra
au même titre que Mozart ou Haendel".
Christophe RIZOUD
Notes
(1) Un enregistrement
(voir notre critique), paru
chez Naïve en octobre 2004, témoigne de la réussite
de cet Orlando Furioso.
(2) Newletter
Naive, mai 2005