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PARIS
14/11/2006
© DR
Concert Ben HEPPNER
Richard Wagner (1813 – 1883)
Prélude et Mort d’Isolde
(Tristan et Isolde)
« Ein Schwert verhieß mir der Vater »
« Winterstürme wichen dem Wonnemond »
(Die Walküre, Siegmund, Acte I)
Chevauchée des Walkyries,
Les adieux de Wotan (Die Walküre, version pour orchestre)
Entracte
« Dass er mein Vater nicht ist »
(Siegfried, Siegfried, Acte II)
« Selige Öde auf sonniger Höh! »
(Siegfried, Siegfried, Acte III)
« Brünnhilde, heilige Braut »
(Die Götterdämmerung, Siegfried, Acte III)
Marche funèbre, immolation et Rédemption
(Die Götterdämmerung, version orchestrale)
Bis
« Siegmund, heiß ich »
« Winterstürme wichen dem Wonnemond »
(Die Walküre, Siegmund, Acte I)
Rotterdam Philharmonic Orchestra
direction : Lothar Koenigs
Théâtre des Champs Elysées,
Paris, le 14 novembre 2006, 20 heures
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Le père, le fils et le saint-esprit
Ben Heppner le professe dans sa réponse à la dernière de nos 5 questions
: « Je voudrais que les règles du récital
s’assouplissent. Je voudrais pouvoir converser avec le public,
parler, raconter, insérer de la narration. Faire des
récitals plus conviviaux, moins normés et
glacés… ». Il lui reste encore un bout de
chemin à parcourir avant d’atteindre son but si l’on
en juge à ce concert placé sous le signe du Ring
de Richard Wagner. En effet, les règles, loin d’être
transgressées, ont au contraire été
scrupuleusement appliquées.
Fidèles à la tradition, les longues pages orchestrales
s’insèrent entre les interventions du soliste au risque de
couper la respiration du spectacle. Les sorties et entrées du
chanteur et du chef d’orchestre, sous les applaudissements comme
il convient, ajoutent encore au cérémonial.
Les versions symphoniques des grandes pages wagnériennes
surprennent aussi dans un tel contexte. Il est toujours frustrant pour
des oreilles habituées au chant – et il y a fort à
parier, compte tenu du programme et de l’affiche, qu’elles
étaient majoritaires ce soir-là dans la salle -
d’écouter la mort d’Isolde ou l’immolation de
Brünnhilde privée de voix.
Les fidèles éprouvent également toujours un peu de
mal à passer en quelques mesures de la marche funèbre
à la scène finale du Crépuscule des dieux
quand il faut habituellement une bonne demi-heure de musique pour
franchir le pas. La dilation du temps est l’une des composantes
de l’art de Richard Wagner ; elle participe à
l’émotion ; la résolution de l’accord
initial de Tristan à l’issue de la liebestod
après plus de quatre heure d’incertitude en offre le
meilleur exemple. Supprimer cette particularité revient
à affaiblir le propos.
Enfin, les profanes, privés de repères – le concert
n’est pas surtitré, le programme ne contient aucune
explication – ont dû s’égarer dans les
méandres de l’histoire des Nibelungen. Comment
apprécier pleinement la puissance dramatique de ces longs
monologues si l’on n’en comprend pas le sens. Et
pourtant…
Et pourtant, ces réserves sont balayées comme une plume
au vent par la force de l’interprétation. Lothar Koenigs,
d’une part, démontre son affinité avec le
répertoire lyrique (1).
Sa direction large et variée n’oublie jamais la dimension
théâtrale de la partition, y compris dans les parties
instrumentales. Le geste, contrôlé, libère un
déluge de sons sans que l’orchestre ne noie le chanteur.
Qu’importe si les bois paraissent un peu acides dans le
prélude de Tristan ou
les cuivres parfois mal assurés, les cordes, avec
volupté, emportent tout sur leur passage. Les pans de murs se
dressent alors, immenses et solides, laissant entrevoir
l’architecture du monument s’il était
érigé dans son intégralité.
Ben Heppner, d’autre part, possède la plupart des qualités que l’on peut attendre d’un heldentenor (2),
robustesse, égalité, vaillance sans pour autant que la
couleur n’abuse des teintes sombres ou que le muscle seul assure
la performance. Son chant, servi par la beauté du timbre, sait
aussi jouer de la clarté et de la nuance, s’alléger
suffisamment pour traduire la révélation de « Dass
er mein Vater nicht ist » ou celle, encore plus bouleversante de
« Brünnhilde, heilige Braut », les deux extraits qui
forment les deux sommets de la soirée.
L’héroïsme lui semble moins naturel, même si
« Siegmund, heiß ich », offert en bis, enflamme le
public par sa fièvre. Surtout, les abîmes vertigineux, le
désespoir profond conviennent moins à son
tempérament. Déjà à Paris sur la
scène de l’Opéra Bastille, le troisième acte de Tristan
en avait apporté la preuve. Si donc il fallait choisir entre
Siegmund et Siegfried, l’intériorité
juvénile du second l’emporterait sur la noirceur du
premier, sans préjuger de l’endurance et de
l’éclat ; il ne faut pas oublier qu’avant
d’entonner les murmures de la forêt, Siegfried doit forger
l’épée envers et contre l’orchestre.
La générosité du ténor, en tout cas, ne
peut être remise en cause. Acclamé par l’assistance,
il reprend une deuxième fois l’hymne au printemps («
Winterstürme wichen dem Wonnemond ») Et tandis que le chant
s’épanouit glorieux par-dessus les guirlandes
d’arpèges, Ben Heppner achève de reproduire le
mystère de la Sainte Trinité : incarner dans le
même temps le père, Siegmund, le fils, Siegfried, et le
saint-esprit, celui de Richard Wagner.
Christophe Rizoud
(1)
Agé de 41 ans, Lothar Koenigs compte déjà à
son actif un grand nombre de productions d’opéra dont la trilogie Janacek
en 2005 à l’Opéra de Lyon. Il devrait prochainement
diriger Tannhaüser à Dresde, Lohengrin à Lyon,
Jenufa à Milan et Don Giovanni à Vienne et New York.
(2) Pour
en savoir plus sur l’heldentenor et d’une manière
générale la voix de ténor, se reporter à l’article que Bernard Schreuders a consacré au sujet.
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