OUVERTURE SANS FANFARE
Pour cette ouverture de saison, la
nouvelle administration a choisi de reprendre la production de L'Italiana
donnée à Garnier en 1998 et 2000. Ce faisant, elle se situe
dans la continuité de l'administration précédente
qui n'avait jamais non plus cherché à tirer un événement
du premier spectacle de la rentrée (1), à
l'inverse de la plupart des grands théâtres lyriques internationaux.
On retrouve donc sans réel
plaisir le spectacle conçu par Andrei Serban dont on ne peut pas
dire qu'il ait bonifié en vieillissant. Quelques gags bien venus
mais usés par les reprises (le naufrage du Titanic), d'autres d'une
vulgarité confondante (Taddeo habillé en plongeur, bouteilles
et palmes comprises, poursuivi de ses assiduités par un gorille
amoureux), il faut attendre la dernière partie pour retrouver un
peu d'inspiration ("Pensa alla Patria" accompagné par des gymnastes
aux couleurs de l'Italie et scène du "Papataci" avec chorégraphie
de danseuses costumées en pizza ou en bouteille de chianti).
Le reste du temps, Serban a bien
du mal à animer l'immense scène du Palais Garnier qui parait
bien vide. Pour donner un semblant d'animation, les interprètes
en sont réduits à des pas de danse continuels, d'une chorégraphie
sommaire ("on se lève ensemble du canapé, on échange
nos places et on se rassied dans la canapé : en rythme avec la musique,
merci"). Tout ça produit finalement une agitation vide de sens,
qui laisse quelque peu consterné.
Pour suppléer une telle déliquescence
théâtrale, il aurait fallu un plateau vocal de haute volée.
Sans être indigne (loin de là), celui proposé est malheureusement
en dessous de cette lourde tâche.
On voit décidément
beaucoup Vivica Genaux à Paris ces derniers temps (Alcina
à Garnier, le Barbiere
à Bastille et Cenerentola
au Théâtre des Champs-Élysées) et avec des bonheurs
divers. Pour cette Italiana, la chanteuse inuit incarne une Isabella
charmante et avec un réel abattage scénique.
Vocalement, on est plus réservé
; la voix, d'un faible volume et peu projetée, a du mal à
passer dans certaines parties du théâtre : on apprécie
davantage cette chanteuse lorsqu'elle se produit au Théâtre
des Champs-Élysées.
Pour être discrète,
l'ornementation des reprises a le mérite d'exister, mais elle se
cantonne dans les notes intermédiaires : point de suraigus, ni de
graves spectaculaires. Cette prudence finit par rendre la prestation assez
monotone, d'autant que l'artiste se révèle à peu près
incapable de colorer de manière expressive. A cet égard,
le fameux "Pensa alla Patria", où alternent colère, joie,
mélancolie, est en fait débité d'un ton monocorde.
Véritable morceau de bravoure avec des chanteuses du calibre de
Marilyn Horne ou de Lucia Valentini-Terrani, la scène tombe donc
à plat.
Succédant à Bruce Ford
(1998) et à Juan Diego Florez (2000), Bruce Sledge nous laisse sur
notre faim : aigus poussés, trilles inexistants, vocalises laborieuses
(la reprise du second air est même carrément coupée),
on est loin de ce qu'on est en droit d'attendre dans ce type de répertoire
(2). L'émission rappelle étrangement celle
de Gregory Kunde (un ténor rossinien qui n'est pas coincé
dans l'aigu, lui ! ) mais on verrait mieux ce chanteur dans le répertoire
mozartien.
Mustafa lors de la création
à Garnier en 1998, Simone Alaimo reprend le collier pour cette reprise.
Scéniquement, il est parfaitement à l'aise, sans doute plus
libéré qu'à la création (mais quand même
pas aussi déjanté que dans le récent Viva
la Mamma : un must dans le genre).
Vocalement, l'artiste accuse son
âge : si les aigus sont toujours aussi spectaculaires, la vocalisation
est difficile, les passages très rapides un peu savonnés
et le médium graillonne régulièrement. On lui pardonnera
volontiers cette relative méforme, car sans lui, le spectacle serait
tout simplement sinistre.
Excellent artiste également,
Alessandro Corbelli (lui aussi protagoniste de l'édition de 1998),
contraste malheureusement par sa réserve : rien à dire vocalement
(le rôle n'est pas non plus très exigeant) ; reste que son
Taddeo légèrement introverti cadre mal avec l'exubérance
d'Alaimo et pas davantage avec une Isabella sans relief.
Pilier de la production, Jeannette
Fisher est toujours excellente, même si on peut regretter quelques
faiblesses dans l'aigu, peut-être une méforme passagère.
En Zulma, Elena Zhidkova tient correctement
son rôle, mais sans plus. Il n'en va pas vraiment de même de
l'Haly franchement embarrassé de Luciano Di Pasquale.
A la tête d'un orchestre de
l'Opéra plutôt poussif, Bruno Campanella sommeille gentiment
; on ne sait pas trop s'il cherche à ne pas couvrir les chanteurs
ou à ne pas se réveiller lui-même. Attaques imprécises,
ensembles approximatifs : tout est mou, et il faut tout le génie
de Rossini pour que cette musique apparaisse encore comme gaie et pétulante.
Au rideau final, le spectacle rencontre
un bon succès de la part d'un public pas trop exigeant, mais sans
enthousiasme excessif. A noter que la salle est loin d'être remplie
alors que les oeuvres lyriques à Garnier font habituellement le
plein : un indicateur à surveiller lors des prochaines soirées.
Placido CARREROTTI
Notes
1. Cet objectif est
d'ailleurs pleinement atteint : cette reprise ne fera sûrement pas
partie des événements de la saison.
2. Encore faudrait-il
avoir compris que chez Rossini, rien ne sépare les typologies vocales
exigées pour les rôles bouffes et pour l'opera seria
: à l'époque, les chanteurs étaient les mêmes
pour les deux répertoires, et un air de ténor écrit
pour une oeuvre bouffe pouvait parfaitement être réutilisé
pour une oeuvre sérieuse sans que l'ouvrage en pâtisse. C'est
d'ailleurs finalement le principal reproche qu'on pourra faire à
cette reprise : mettre l'accent sur la théâtralité
en oubliant qu'un opéra (surtout dans ce répertoire), c'est
aussi le plaisir purement physique d'une fête vocale.