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NEW YORK

26/10/02


Renée Fleming (Imogène)
Il Pirata

Opéra en 2 actes de Vincenzo Bellini
Livret de Felice Romani

Imogène : Renée Fleming
Gualtiero: Marcello Giordani 
Ernesto : Dwayne Croft 
Goffredo : Tigran Martirosyan
Itulbo : Garrett Sorenson
Adele : Maria Zifchak

Choeurs et orchestre du Metropolitan
Direction : Bruno Campanella

Production : John Copley
Décors : John Conklin
Costumes : Robert Perdziola
Eclairages : Duane Schuler
New-York, Metropolitan, le 26/10/2002 (matinée)


SECONDE CHANCE...

Après ses deux rounds d'entraînement au Châtelet le printemps dernier, Renée Fleming reprenait le rôle d'Imogène pour cette version scénique montée tout spécialement pour elle par le Metropolitan.

Cette production n'étant pas destinée à rester au répertoire, les moyens mis en oeuvre sont assez limités : décors réduits et stylisés, et d'une réalisation peu soignée.

Qu'importe : voir monter pour soi une nouvelle production, c'est aussi voir son statut de diva reconnu par une des plus prestigieuses institutions musicales ; ces récentes années, seuls des artistes comme Luciano Pavarotti (avec I Lombardi) ou Placido Domingo (avec Stiffelio ou Sly) ont eu droit à de tels égards à New-York.

Si les décors sentent l'économie (enfin, par rapport aux standards du Met, tout est relatif...), les costumes sont en revanche superbes et dignes des fastes hollywoodiens de la grande époque. Robes opulentes pour les dames, pourpoints galonnés de broderies pour les messieurs, dentelles et brocarts pour tout le monde : nous sommes plongés dans un flamboyant film de capes et d'épées.

La direction d'acteur est, hélas, inexistante : les choeurs sont massés en tableaux vivants, et les solistes livrés à eux-mêmes.

Au passage, notons qu'il est vite exaspérant d'entendre le fiston d'Imogène pleurer à gros bouillons pendant la scène de folie de maman : comme si elle n'avait pas assez d'ennuis comme ça !

Vocalement, la représentation ne tranche pas particulièrement par rapport au concert du Châtelet.

On retrouve en effet chez Renée Fleming les qualités exprimées lors de sa prise de rôle : beauté du timbre, abondance de nuances, générosité dans les cadences, malgré une certaine fatigue en fin de spectacle avec deux derniers aigus un peu criés (elle annulera les deux représentations suivantes pour cause d'allergie).

Quelques excès sont corrigés : ainsi, nous n'aurons pas droit au hurlement devant la menace de Gualtiero de tuer l'enfant d'Ernesto.

Pour le reste, on retrouve aussi le même maniérisme, des variations d'un goût discutable (quasiment celles du Châtelet), et enfin cet espèce de style "crooner jazzy" avec abondance de notes prises par en dessous qui peut convenir dans Susannah (une jeune fille du Sud à l'accent traînant), mais se révèle irritant dans ce répertoire (voir également notre critique de "Arabella" du 6/12/01). A noter que ce défaut se manifeste bien davantage dans les solos que dans les duos ou les ensembles.

Si Marcello Giordani campe un Gualtiero plus à l'aise qu'à Paris, c'est aussi parce que certaines libertés sont prises avec cette inhumaine partition : pas de contre-ré à la fin de l'air d'entrée, une cadence allégée pour la cabalette qui suit (le n'en sort que plus aisément)... En revanche, les deux couplets de l'air final sont restitués (il n'y en avait qu'un au Châtelet).
Moins sollicité dans l'aigu (là encore, tout est relatif), Giordani maîtrise mieux ses graves (inexistants ou graillonnants à Paris) et, au global, sa prestation est plus satisfaisante : il vaut mieux moins de notes mieux chantées que l'inverse !

Dwayne Croft n'est pas particulièrement réputé dans ce répertoire, et c'est une injustice : la voix est magnifique, il chante avec élégance, maîtrisant vocalises et suraigus ; on en regrette d'autant plus une cabalette amputée de sa reprise et qui nous laisse sur notre fin.

A la tronçonneuse, Bruno Campanella fait dans le gros et dans le détail.

Le gros, c'est la coupure quasi-systématique des reprises de strettes ou de cabalettes qui, de facto, condamne les variations inhérentes au genre (sans compter que certains morceaux deviennent si courts qu'ils tombent à plat, l'auditeur n'ayant pas le temps de se familiariser avec la mélodie) ; outre les cabalettes d'entrée du ténor et du baryton, citons aussi la reprise du final de l'acte I, celle de la strette du duo Ernesto/Imogène (1 minute de gagnée : quel intérêt ?), de la partie rapide du trio du II...

Le détail, c'est une multitude de micro-coupures (quelques mesures par-ci par-là, généralement dans les cadences finales, pas de quoi siroter un verre de plus à l'entracte) qui trahissent le compositeur en défigurant bêtement la partition ; on se croirait revenu aux versions de "Lucia" des années 50 ! Comment un tel chef peut-il être présenté par certains critiques comme un "expert dans ce répertoire" ? Mystère... (et en ce qui me concerne, un mystère confirmé régulièrement depuis ses Filles du Régiment de Favart en 1986 !).

En conclusion, une représentation qui ne confirme ni les espoirs des uns, ni les réserves des autres. On est heureux de voir Fleming défendre ce répertoire ; on s'interroge toujours sur sa capacité à le défendre pleinement.
  


Placido Carrerotti
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