SECONDE
CHANCE...
Après ses deux rounds
d'entraînement au Châtelet le printemps dernier, Renée
Fleming reprenait le rôle d'Imogène pour cette version scénique
montée tout spécialement pour elle par le Metropolitan.
Cette production n'étant
pas destinée à rester au répertoire, les moyens mis
en
oeuvre sont assez limités : décors réduits et stylisés,
et d'une réalisation peu soignée.
Qu'importe : voir monter
pour soi une nouvelle production, c'est aussi voir son statut de diva reconnu
par une des plus prestigieuses institutions musicales ; ces récentes
années, seuls des artistes comme Luciano Pavarotti (avec I Lombardi)
ou Placido Domingo (avec Stiffelio ou Sly)
ont eu droit à de tels égards à New-York.
Si les décors sentent
l'économie (enfin, par rapport aux standards du Met, tout est relatif...),
les costumes sont en revanche superbes et dignes des fastes hollywoodiens
de la grande époque. Robes opulentes pour les dames, pourpoints
galonnés de broderies pour les messieurs, dentelles et brocarts
pour tout le monde : nous sommes plongés dans un flamboyant film
de capes et d'épées.
La direction d'acteur est,
hélas, inexistante : les choeurs sont massés en tableaux
vivants, et les solistes livrés à eux-mêmes.
Au passage, notons qu'il
est vite exaspérant d'entendre le fiston d'Imogène pleurer
à gros bouillons pendant la scène de folie de maman : comme
si elle n'avait pas assez d'ennuis comme ça !
Vocalement, la représentation
ne tranche pas particulièrement par rapport au concert
du Châtelet.
On retrouve en effet chez
Renée Fleming les qualités exprimées lors de sa prise
de rôle : beauté du timbre, abondance de nuances, générosité
dans les cadences, malgré une certaine fatigue en fin de spectacle
avec deux derniers aigus un peu criés (elle annulera les deux représentations
suivantes pour cause d'allergie).
Quelques excès sont
corrigés : ainsi, nous n'aurons pas droit au hurlement devant la
menace de Gualtiero de tuer l'enfant d'Ernesto.
Pour le reste, on retrouve
aussi le même maniérisme, des variations d'un goût discutable
(quasiment celles du Châtelet), et enfin cet espèce de style
"crooner jazzy" avec abondance de notes prises par en dessous qui peut
convenir dans Susannah (une jeune fille du Sud à l'accent
traînant), mais se révèle irritant dans ce répertoire
(voir également notre critique de "Arabella"
du 6/12/01). A noter que ce défaut se manifeste bien davantage dans
les solos que dans les duos ou les ensembles.
Si Marcello Giordani campe
un Gualtiero plus à l'aise qu'à Paris, c'est aussi parce
que certaines libertés sont prises avec cette inhumaine partition
: pas de contre-ré à la fin de l'air d'entrée, une
cadence allégée pour la cabalette qui suit (le ré
n'en sort que plus aisément)... En revanche, les deux couplets de
l'air final sont restitués (il n'y en avait qu'un au Châtelet).
Moins sollicité dans
l'aigu (là encore, tout est relatif), Giordani maîtrise mieux
ses graves (inexistants ou graillonnants à Paris) et, au global,
sa prestation est plus satisfaisante : il vaut mieux moins de notes mieux
chantées que l'inverse !
Dwayne Croft n'est pas particulièrement
réputé dans ce répertoire, et c'est une injustice
: la voix est magnifique, il chante avec élégance, maîtrisant
vocalises et suraigus ; on en regrette d'autant plus une cabalette
amputée de sa reprise et qui nous laisse sur notre fin.
A la tronçonneuse,
Bruno Campanella fait dans le gros et dans le détail.
Le gros, c'est la coupure
quasi-systématique des reprises de strettes ou de cabalettes
qui, de facto, condamne les variations inhérentes au genre (sans
compter que certains morceaux deviennent si courts qu'ils tombent à
plat, l'auditeur n'ayant pas le temps de se familiariser avec la mélodie)
; outre les cabalettes d'entrée du ténor et du baryton,
citons aussi la reprise du final de l'acte I, celle de la strette du duo
Ernesto/Imogène (1 minute de gagnée : quel intérêt
?), de la partie rapide du trio du II...
Le détail, c'est une
multitude de micro-coupures (quelques mesures par-ci par-là, généralement
dans les cadences finales, pas de quoi siroter un verre de plus à
l'entracte) qui trahissent le compositeur en défigurant bêtement
la partition ; on se croirait revenu aux versions de "Lucia" des années
50 ! Comment un tel chef peut-il être présenté par
certains critiques comme un "expert dans ce répertoire" ? Mystère...
(et en ce qui me concerne, un mystère confirmé régulièrement
depuis ses Filles du Régiment de Favart en 1986 !).
En conclusion, une représentation
qui ne confirme ni les espoirs des uns, ni les réserves des autres.
On est heureux de voir Fleming défendre ce répertoire ; on
s'interroge toujours sur sa capacité à le défendre
pleinement.
Placido Carrerotti