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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
DON GIOVANNI
Ossia il dissoluto punito
Livret de Lorenzo Da Ponte
Don Giovanni : Simon Keenlyside
Il Commendatore : Alfred Muff
Donna Anna : Eva Mei
Don Ottavio : Piotr Beczala
Donna Elvira : Malin Hartelius
Leporello : Anton Scharinger
Masetto : Reinhard Mayr
Zerlina : Martina Jankova
Mise en scène Sven-Eric Bechtolf
Choeur et Orchestre de l’Opéra de Zürich
Direction Franz Welser-Möst
Live mai 2006
DVD Emi Classics

Keenlyside sous exploité
Ces dernières années, l’ascétisme
exacerbé de Peter Brook, la provocation
« trash » de Calixto Bieito et la transposition
quasi cinématographique de Michael Haneke ont profondément et durablement modifié le regard que nous pouvions porter sur le Don Giovanni de
Mozart et de Da Ponte. Toutes les pistes semblaient avoir
été empruntées et pourtant ce chef d’oeuvre
adapté, détourné, maltraité pour certains,
révélait à nouveau et dans des registres bien
différents, des facettes jusque là inconnues. La force du
mythe, son intemporalité, sa portée philosophique,
sociale et politique a donc résisté aux traitements les
plus excessifs, en continuant de susciter l’intérêt
de metteurs en scène qui espèrent toujours repousser plus
loin les limites. Ces spectacles marquants parce qu’ils vont
au-delà de nos habitudes, transcendent nos connaissances et
dépassent nos imaginations, côtoient malheureusement de
plus faibles propositions.
Que dire de la production signée Sven-Eric Bechtolf,
captée en mai 2006 à l’Opéra de Zürich,
si ce n’est que, par comparaison avec celles citées plus
haut, elle est bien terne. Don Giovanni, riche et oisif
séducteur, flanqué de son fidèle serviteur,
fréquentent un lupanar de luxe où s'encanaille sans le
moindre complexe une faune cosmopolite. On vient y boire, danser,
observer des couples masqués, pratiquer quelques ébats
dans le plus grand naturel, dans une atmosphère lourde et
chiadée, vaguement inspirée par le dernier film de
Stanley Kubrick, Eyes wide shut,
avec Tom Cruise et Nicole Kidman. Difficile dans ces décors en
perspective abstraits et artificiels, de faire exister des personnages
et de rendre plausibles certaines scènes comme celle du viol de
Zerlina à la fin du 1er acte, qui perd ici toute sa force, ce
lieu étant justement dédié aux choses du sexe, on
ne voit pas pourquoi l’assistance s’affole tout à
coup ; au second acte, la symbolique autour de l’usurpation
d’identité maître/valet est esquivée et le
moment crucial du cimetière, réduit à une simple
anecdote. Seule réussite, la scène finale, où Don
Giovanni s’adresse à une statue africaine, que l’on
imagine envoûtée, à qui il tend la main dans une
dernière provocation, avant de mourir.
On regrette de voir le baryton Simon Keenlyside sous-employé dans une œuvre qu’il connaît si bien. Avec Peter Mattei et Bryn Terfel,
il est assurément le meilleur Don Giovanni du moment par la
beauté du style, la féline et dansante présence et
la conception très fouillée. La voix est admirablement
conduite, le texte est décanté, naturel et d’une
acuité totale jusque dans les moindres récitatifs, le
personnage physiquement et intellectuellement accompli. En grand
professionnel qu’il est, Keenlyside fait croire qu’il
adhère à la lecture lacunaire de Bechtolf, mais il est
probable qu’il s’ennuie à exécuter cette
triste pantomime. Leporello est ici campé sans éclat
particulier par Anton Scharinger,
dont le timbre passe partout et le jeu grossier ne peuvent rivaliser
avec celui de son maître. Traité avec désinvolture,
comme deux êtres mal assortis, toujours gênés
d’être là où ils se trouvent, le couple
Anna/Ottavio chante heureusement bien, même si Eva Mei un peu
trop apprêtée vocalement ne retrouve pas
l’inspiration de sa Vittelia (Clemenza di Tito de Mozart en 2005
à Zürich). Piotr Beczala
excelle en revanche dans ses deux airs, par sa vélocité
et la fluidité de son instrument de miel qui rappelle celui de
Fritz Wunderlich. Malin Hartelius, applaudie à Aix-en-Provence dans une sémillante, quoique bien légère Konstanze de L'Enlèvement au Sérail
(imaginé par Jérôme Deschamps), passe avec
succès au rôle plus volcanique de Donna Elvira,
l'épouse éconduite. Sa voix a gagné en volume et
en projection, ce qui lui permet d’aborder sans ambages cette
partition difficile en terme d’écarts, de souffle et de
tension dramatique. Martina Jankova est
une Zerlina aussi jolie à regarder qu’à
écouter, puisqu’elle n’hésite pas à
(re)gagner les faveurs de Masetto (Reinhard Mayr
brut et fade) en se prêtant à un striptease, tandis que
Alfred Muff offre sa profonde voix à celle du Commandeur.
Franz Welser-Möst se
révèle une nouvelle fois un sensationnel chef mozartien,
obtenant de sa phalange zürichoise, des sonorités et des
accents que l’on dirait issus d’une formation baroque, sans
pour autant s’aventurer sur les terres bien gardées
d’un René Jacobs. Ses tempi parfois surprenants, ses
couleurs boisées et mousseuses et ses inflexions
singulières constituent un tout, hautement recommandable.
François LESUEUR
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