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Georg Frederic Haendel (1685-1759)
FLORIDANTE
Rossane : Sharon Rostorf-Zamir
Floridante : Marijana Mijanovic
Elmira : Joyce DiDonato
Oronte : Vito Priante
Timante : Roberta Invernizzi
Coralbo : Riccardo Novaro
Il Complesso Barocco, dir. Alan Curtis
CD Archiv 2007
« Le nouvel aspect que prennent les choses est toujours troublant » Acte I scène 5
Alan Curtis et
Haendel. Une longue histoire d’amour, avec ses petites
déceptions et ses grands moments de bonheur. Il y a 30
déjà, le chef partait à la conquête de son
Caro Sassone avec un Admeto
(1978, Virgin) d’une verdeur enthousiaste. Le mariage
consommé vinrent les années difficiles, celles d’Arminio, de Rodrigo, de Lotario
(honteusement coupé). En dépit de la musicalité
des airs, ces enregistrements s’embourbaient dans une vision
contemplative et saccadée. La moyenne uniformité des
tempi combinée à un manque de progression dramatique
dégageait l’ennui - disaient les persifleurs -
l’ennui d’un catalogue de jolies friandises. Mais Curtis a
tenu bon, et a continué de bénéficier du soutien
de Virgin, alors que son confrère Nicholas McGegan tombait en
disgrâce chez Harmonia Mundi dans sa tentative
d’intégrale des 38 opéras italiens de Haendel.
Fidèle et persévérant, Alan sauva son couple d’une routine métronomique avec Deidemia
(2004). Bien que ses retrouvailles aient été
discrètes dans la presse, il s’agissait là
d’un évènement digne de la rupture historique du Giulio Cesare de Jacobs ou de l’Ariodante
de Minkowski. La monde des mordus haendeliens frissonna de plaisir en
écoutant les merveilles de cette partition riche et originale
où le compositeur faisait ses adieux à l’opera seria. Gonflé d’une ardeur triomphante, Alan Curtis renouvela l’exploit avec deux admirables enregistrements, un Radamisto inégal mais touchant, et une divine Rodelinda.
Autant dire qu’on attendait beaucoup des deux nouveaux crus de
l’année 2007 : à savoir la version primitive
de Sosarme (alors Fernando), et ce Floridante duquel je vais enfin vous parler après cette recontextualisation sommaire.
Alan Curtis a rassemblé un plateau féminin de premier
ordre, même si cette équipe ne paraît pas donner le
meilleur d’elle-même. Comme à
l’accoutumée, Marijana Mijanovic
excelle dans les airs héroïques grâce à son
timbre androgyne sombre et puissant, mais sa part d’ombre est
plus présente qu’à l’accoutumée, avec
une émission souvent instable, un phrasé
« poitrinant » alla Bartoli, et un vibratello
prononcé. Ainsi, son « Alma mia », loin de
constituer un sommet de rêverie poétique, catapulte des
notes quelquefois à la limite de la crudité.
Qu’importe, la mezzo-soprano a cette capacité de brosser
le drame comme nulle autre, faisant aisément chavirer le
cœur de l’Elmira de Joyce DiDonato.
Celle-ci surprend par sa fausse candeur, la clarté dynamique de
ses aigus et son agilité. Les ornements du « Ma pria
vedro le stelle » sont troussés avec une
élégance nonchalante, le trille souvent esquissé.
Son long duo d’amour avec Floridante, qui conclut l’acte
premier, est particulièrement émouvant. Cependant,
l’on regrette que le rôle n’ait pas été
assumé par l’habituelle Simone Kermes et ses aigus solaires.
Le Prince prisonnier et conspirateur Timante qu’incarne Roberta Invernizzi
s’avère tout à fait charmant, mais sans consistance
aucune. Son « Lascioti, o bella, il volto »
manque singulièrement de liant et le magnifique duo
d’amour avec Rossane avec cors obligés « Fuor
di periglio » pâtit d’aigus tendus. La
transparente fraîcheur de son timbre se retourne ici contre elle,
et son manque d’implication en fait une caricature de courtisan
superficiel d’Ancien Régime dont les airs sont aussi vite
écoutés qu’oubliés. Cette incarnation falote
est d’autant plus regrettable que son amante complice Roxane
échoit à Sharon Rostorf-Zamir,
au chant nettement plus « viril » et dont
l’aisance et la grâce font regretter les brefs airs
secondaires qui lui sont confiés. .
Côté hommes, sans être à l’ouest, il
n’y a rien de nouveau. On retrouve l’élan
post-baroque de Vito Priante et son émission toujours assez pâteuse et légèrement nasillarde ; tandis que Riccardo Novarro livre une prestation correcte et terne. Passons, passons.
Alan Curtis a préparé pour cet enregistrement une
nouvelle édition de ce 13ème opéra haendelien,
rétablissant les intentions originelles du compositeur qui fut
obligé d’apporter des modifications de dernière
minute pour tenir compte d’un changement de distribution. Son
zèle musicologique n’a d’égal que celui de sa
direction, de plus en plus vive et alerte. Le chef a gagné en
souplesse, et n’hésite désormais plus à
enfourcher ses chevaux de bataille dans les airs de bravoure. Il Complesso Barocco
sonne remarquablement bien, avec des timbres équilibrés,
une belle cohérence des pupitres et une chaude rondeur.
Pourtant, si la direction d‘ensemble porte en elle
l’urgence du drame (et la faible durée des airs
n’est pas étrangère à cela), ce Floridante n’a plus la musicalité radieuse de Deidemia,
comme si la balance avait définitivement penché du
côté de l’action. A bien des reprises,
l’auditeur s’est étonné de l’absence de
langueur dans les airs lent, de phrasés de plongeur
d’apnée, d’une oppressante s et inéluctable
course vers le lieto fine.
Que sont les silences et les demi-mots d’Alan Curtis
devenus ? Les moments géniaux où l’orchestre
suspendait son vol et laissait la chanteuse étioler ses fins de
mesures dans le vide ? Où sont passés les
fantômes, les doutes et les ombres ? En passant du
clair-obscur à l’aquarelle, Alan Curtis a
brûlé l’intrigue d’un déterminisme
où les acteurs du drame ne sont plus que des marionnettes
tourbillonnantes. Beaucoup apprécieront cette évolution,
qui rejoint un peu celle de William Christie. Les
« technicologues » parleront d’un
« phénomène proliférant de convergence
minkowskienne ». Ils loueront la précision des
attaques des cordes, l’enchaînement rapide des
scènes, la cohérence globale de l’ouvrage.
Toutefois, il faut avouer que ce Floridante, qui s’impose
aisément face à la pâle gravure de McGegan
(Hungaroton), ne parvient jamais à réellement distiller
une atmosphère grandiose et nous laisse quelque peu sur notre
faim.
Enfin, pour finir sur des considérations pratiques, protestons
encore une fois contre la politique éditoriale d’Archiv
qui supprime les fourreaux cartonnés des opéras, et nous
gratifie en contrepartie de descriptions racoleuses dignes d’une
bande-annonce de Basic Instinct.
Préparez vos chastes oreilles à l’écoute
d’une « riveting story of sex, violence, lust, incest,
jealousy and betrayal » (une histoire passionnante de sexe,
de violence, de lubricité, d’inceste, de jalousie et de
trahison). Et mettez les enfants au lit de bonne
heure auparavant !
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