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Philippe JAROUSSKY
Beata Vergine
Motets à la Vierge entre Rome et Venise
Ensemble Artaserse
Avec Marie-Nicole Lemieux, contralto *
A. Grandi : Salve Regina
G. Legrenzi : Ave Regina coelorum *
F. Cavalli : O quam suavis
G. A. Rigatti : Regina coeli laetare
G. P. Caprioli : Vulnerasti cor meum
G. Frescobaldi : Ave maris stella
G. F. Sances : Stabat Mater dolorosa
G. B. Bassani : Corda lingua in amore
A. Grandi : O quam tu pulchra es
G. B. Bassani : Sonata prima
A. Grandi : O intemerata *
A. Mattioli : Ave Regina coelorum
G. Casati : Sanctissima Virgo
G. P. Colonna : O coeli devota
1 CD VIRGIN CLASSICS 00946 344711 2 1
enregistré en décembre 2005
Ames sensibles s’abstenir
Il est, paraît-il, de bon ton pour un critique
d’éviter le « je ». Cet artifice ne
devrait tromper personne et, s’agissant de commenter la
performance d’un chanteur, il frise le ridicule. Il suffit de
voir les passions et les diatribes que déchaînent
ténors et divas pour se convaincre que la subjectivité
règne sans partage dans ce domaine. L’impact d’une
voix demeure incomparable et il serait bien aventureux de
prétendre en découvrir la clé. Pourquoi ces
précautions, ce long préambule, me direz-vous ?
Parce que les journalistes ne sont pas à l’abri de
réactions passionnelles, quoi qu’ils en disent ou veulent
bien montrer. Parce que je souhaite recouvrer l’usage –
simple, direct, spontané – de la première personne,
afin d’avouer mon impuissance devant l’indicible :
cette émotion qui m’a submergé à
l’écoute du Stabat Mater de Sances dans l’interprétation de Philippe Jaroussky.
Ce fut plus qu’un choc : une suite de commotions, avec de
brefs répits, car l’œuvre, tel un mal lancinant,
déploie son ostinato sur plus de dix minutes et multiplie les climax. Les accents intenses ou suaves du chanteur, ces aigus piano
distillés jusqu’au murmure, ces inflexions
déchirantes et d’une infinie mélancolie m’ont
vrillé l’âme. Comme le souligne James Bowman (Opéra magazine,
janvier 2006), aucun contre-ténor jusqu’ici n’avait
encore possédé une telle technique, mais cette souplesse,
Philippe Jaroussky ne l’exhibe pas seulement dans la voltige,
certes grisante, il la met aussi et d’abord au service de
l’expression et de la nuance. J’imagine votre
perplexité : quel langage déroutant chez un
journaliste, que de naïveté, de lyrisme,
d’idolâtrie, de complaisance peut-être ! Je ne
viens pas de découvrir Philippe Jaroussky, loin s’en faut,
je n’ai d’ailleurs pas attendu qu’il soit sous les
feux de la rampe pour m’y intéresser (Voir entretien avec Philippe Jaroussky) et mon admiration n’est pas aveugle (Voir Un concert chez Mazarin, ou Cantates Virtuoses),
mais la magie continue à opérer. William Christie
m’a dit un jour que ce qu’il redoutait, plus que tout, ce
sont les musiciens blasés. N’est-ce pas également
le pire qui puisse arriver à un critique ? C’est le
début de la fin, qui peut malheureusement être longue et
dévastatrice. Souffrez donc que l’un d’eux, tout
à la fois émerveillé et terrassé, se livre
à vous sans fard, cherchant maladroitement ses mots. Il est des
œuvres, mais aussi des interprétations qui nous secouent
à un point tel que l’on se prend à regretter
d’avoir déjà, en d’autres occasions,
utilisé les
adjectifs « bouleversant »,
« sublime », « extraordinaire »,
car ils semblent à présent banals et inutilisables, en
deçà de la réalité.
Au sein d’un programme riche en inédits, le Stabat Mater
de Sances est un peu l’exception qui confirme la
règle : Caterina Calvi, Claudine Ansermet ou Maria-Cristina
Kiehr l’ont déjà enregistré, vous le
connaissez peut-être déjà – ou, comme
moi, vous croyez le connaître. Il y a deux semaines, je recevais
le texto d’un ami
très attaché à la version de Calvi, mais qui
était en train d’écouter celle de Jaroussky et en
était bouleversé. N’est-ce pas l’apanage des
grands que de nous révéler sous un jour nouveau les
chefs-d’œuvre qui nous semblaient familiers ? Si
Sances ne vous dit rien, précipitez-vous chez un disquaire et
sélectionnez la plage 7. Je ne m’adresse pas qu’aux
baroqueux : oubliez les étiquettes –
« baroque »,
« sacré »,
« contre-ténor », etc. –, vos
éventuels préjugés ou mauvais souvenirs. Cette
interprétation transcende les époques, les styles, les
catégories vocales et peut balayer d’un souffle toutes les
préventions et barrières dont l’homme
s’embarrasse.
Autour de ce Golgotha, le chanteur cultive son goût pour
l’exploration et dépoussière quelques très
belles pièces, notamment de contemporains ou
d’émules de Monteverdi, mais aussi de maîtres assez
obscurs comme Andrea Mattioli, originaire de Faenza, dont le singulier Ave Regina coelorum
trahit l’humeur fantasque et le raffinement expressif. S’il
joue habilement de la diversité des climats et des registres,
Philippe Jaroussky excelle davantage dans la contemplation, le
recueillement (Salve Regina de Grandi, orant à souhait, splendide O quam suavis
de Cavalli) ou la douleur que dans l’allégresse, où
la voix manque parfois d’éclat et de mordant (O coeli devota
de Colonna). Modèle de connivence avec le soliste,
l’accompagnement, lui, n’appelle que des louanges et la
sonate de Bassani éveille notre curiosité pour une
formation encore peu connue. On retrouve la même
complicité avec Marie-Nicole Lemieux, en particulier dans le
très fusionnel et tendre duo de Grandi, O quam tu pulchra es, et
l’on se prend à rêver de les entendre dans la
fameuse plainte de Cornelia et Sesto, Son nata a lagrimar (Giulio Cesare) (1)…
Philippe Jaroussky signe ici son meilleur disque – en attendant
un hommage au castrat Giovanni Carestini (l’Ariodante de Haendel)
– et l’un des plus beaux consacrés au vaste
répertoire marial du Seicento.
Bernard Schreuders
(1) Ils sont à l'affiche de la Griselda de Vivaldi dirigée par Jean-Christophe Spinosi qui est sur le point de paraître chez Naïve.
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