Antonio Vivaldi (1678-1741)
Cantates virtuoses
Alla caccia dell'alme e de'cori
RV 670
Qual per ignoto calle RV
677
Orlando furioso RV 728
"Piangerò sinché
l'onda" (Ruggiero)
Prélude d'aprèsVivaldi
(théorbe solo)
Care selve, amici prati
RV 671
Perfidissimo cor ! Iniquo fato
! RV 674
Tito Manlio RV 778
"Di verde ulivo" (Vitellia)
Pianti, sospiri e dimandar
mercede RV 676
Philippe Jaroussky, contre-ténor
Ensemble Artaserse
Enregistré les 26 et 30
octobre 2004
1 CD VIRGIN CLASSICS 7243 5 46721
2 8 - 68:02
En
aparté,
il nous avait assuré qu'il ne graverait pas un énième
Stabat
Mater ou
Nisi Dominus (bien qu'il livre en concert le plus envoûtant
des
Cum dederit), préférant fouler des terres vierges
ou méconnues, comme dans ses premiers récitals (Benedetto
Ferrari, Un
concert chez Mazarin) ;
l'affiche du troisième album solo nous a d'autant plus déçu.
Véritables miniatures d'opéra, les cantates de Vivaldi ne
manquent certes pas d'attraits, mais ils nous sont familiers alors que
tant de merveilles sommeillent probablement encore. Cette sélection
a déjà été enregistrée plusieurs fois,
en tout - Derek Lee Ragin, Caterina Calvi - comme en partie - Max-Emanuel
Cencic,
Laura Polverelli (
Alla
caccia dell'alme e de'cori et
Care selve, amici prati) ou encore
Sara Mingardo (
Pianti, sospiri e dimandar mercede). Mais c'est bien
sûr avec le disque de Gérard Lesne, publié il y a près
de vingt ans, que la confrontation se révèle inévitable.
Entouré de Fabio Biondi et Marc Minkowski (au basson), le contre-ténor
français avait alors fait sensation, imposant la richesse d'un grain
inattendu chez un falsettiste, la probité du style et la délicatesse
d'un goût qui ont depuis fait sa renommée. Force est cependant
de reconnaître que la comparaison ne tourne pas à l'avantage
de l'aîné, dont les traits paraissent aujourd'hui un peu raides,
appliqués et les
da capo particulièrement indigents.
Nous nous sommes déjà longuement étendus sur la
rareté de l'organe, la grâce du timbre, d'une insolente juvénilité,
la douceur et la pureté de l'aigu, atouts naturels auxquels il faut
ajouter une incroyable facilité (la vélocité, la légèreté
de sa vocalisation ne laissent pas d'étonner), mais Philippe Jaroussky
est bien plus qu'un habile technicien ou l'hôte chanceux d'un instrument
hors du commun : c'est un musicien, suprêmement doué, qui
s'épanouit aussi dans les pages moins extraverties (magique "Quel
passagier son io" de Qual per ignoto calle) dont il sait mieux que
personne traduire la poésie. Que serait cette voix, véritable
don du ciel, sans personnalité ? Un phénomène, une
curiosité. C'est l'intelligence musicale et la sensibilité
de l'artiste qui nous valent ce chant frémissant, leste et gorgé
de vie, cette invention de tous les instants. On regrette d'autant plus
que les arie expressives soient réduites à la portion congrue.
Mais la couverture n'annonce pas autre chose, qui met en avant le caractère
essentiellement acrobatique du répertoire - ce parti pris explique
sans doute une lecture un rien nerveuse du premier air de Care selve, amici
prati, censé pourtant évoquer la sérénité
des forêts et des prés. Il faut dire que Jaroussky met toutes
ses forces dans la bataille et se déchaîne dans un épilogue
étourdissant ("Cor ingrato dispietato" de Pianti, sospiri e dimandar
mercede), qui laisse KO sa rivale (Mingardo) et nous rappelle que son
idole se prénomme Cecilia...
Outre la splendide sonate pour violoncelle en si bémol majeur
qui complète le programme, une rareté et un inédit
viennent quelque peu étancher notre soif de découverte. "Piangerò
sinché l'onda" extrait du premier opéra que Vivaldi tira
du chef-d'oeuvre de l'Arioste et qui triompha en 1714 sur la scène
du Teatro San Angelo. Dans cette aria de Ruggiero, à la mélancolie
charmeuse, Philippe Jaroussky déploie des trésors de nuances
et de raffinements. L'année même (1977) où Claudio
Scimone, à la tête d'un quatuor superlatif (Horne, Valentini-Terrani,
Los Angeles, Bruscantini), ressuscitait avec éclat l'Orlando
furioso de 1727, Vittorio Negri tentait la même opération,
nettement plus délicate, sur un prolixe, mais fort inégal
Tito
Manlio (Philips). L'un entrait dans la légende, l'autre
retombait
dans l'oubli. Echange virtuose, mais également passionné,
entre la voix et le violoncelle, "Di verde ulivo" méritait amplement
de revenir à la lumière.
Bernard SCHREUDERS
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