Christoph Willibald Gluck
PARIDE ED
ELENA
Magdalena Kozená : Paride
Susan Gritton : Elena
Carolyn Sampson : Amore
Gillian Webster : Pallade / Trojano
Gabrieli Consort & Players
Paul McCreesh
Enregistré en octobre 2003
à Londres.
2 CD Archiv Produktion 447 541-5
Durée : 146'19''
De l'abondante production lyrique de Gluck, la postérité
n'a gardé que les seuls opéras réformés, ignorant
superbement l'essentiel des opéras du compositeur. Fruit de sa troisième
et ultime collaboration avec Calzabigi, Paride ed Elena n'a même
pas droit au prestige qui entoure Orfeo
et Alceste. L'oeuvre partage
pourtant avec le premier une action des plus statiques, propice au développement
musical des passions et à l'intervention du merveilleux, et avec
le second un sens aigu de la tension dramatique, une maîtrise du
récitatif dans toute sa diversité, depuis le secco
jusqu'à l'arioso en passant par l'accompagnato. Généralement
réduite à deux airs de Paride, le sensuel O del mio dolce
ardore et le vibrant Le belle immagini, la partition démontre
pourtant la profusion et l'originalité de l'inspiration du Chevalier
- sans atteindre pourtant la perfection des "grands" opéras, Alceste
et Iphigénie en Tauride
en tête. Peut-être parce que Gluck, malgré un livret
italien, compose une oeuvre dans le plus pur style français, ou
bien parce qu'il essaye de faire coexister légèreté
arcadienne et souffle tragique. Ces considérations n'auraient pas
d'importance si elles n'influençaient de facto les options interprétatives.
Face à un tel malstrom, chef et chanteurs doivent avoir constamment
en tête cette oscillation (hésitation ?) pour développer
une vision globalement cohérente. S'il ne nous a pas toujours convaincu
dans les oratorios de Händel, Paul McCreesh trouve dans ce classicisme
de transition un laboratoire idéal pour ses propres expérimentations.
Variété de l'orchestration, enchaînement des séquences
et contrastes des atmosphères, le chef parvient à restituer
à chaque morceau sa spécificité. Les tableaux apparaissent
ainsi comme autant d'instantanés, sans lien profond pourtant les
uns avec les autres.
Figure clé de l'enregistrement, Magdalena Kozena, qui a incarné
à la scène le héros troyen au début de sa carrière,
est égale à elle-même, avec ses qualités et
ses limites. Une musicalité et une sensibilité au texte confondantes
(magnifique Quegli occhi belli qui n'a rien à envier aux
deux airs cités), une maîtrise parfaite de l'instrument sur
toute la tessiture ainsi qu'un frémissement juvénile dans
le chant ne peuvent pas toujours pallier une certaine monotonie du timbre,
une incapacité à trouver les couleurs qui confèrent
une réelle profondeur au personnage. Susan Gritton peut, en revanche,
davantage jouer sur sa voix claire et son émission droite pour souligner
la rigueur spartiate d'Elena et proposer un portrait musical impeccable.
Comme dans Orfeo, dont le trio Tendre amour est repris au
quatrième acte Ah, lo veggo, le couple est complété
par Amore qui trouve en Carolyn Sampson une frivole espièglerie
non dénuée cependant de spiritualité : le duo Ma,
chi sei qui l'unit à Paride au premier acte traduit bien cet
esprit mutin. Pourtant, au fil des airs et des écoutes, le choix
de trois voix finalement assez proches nuit à la caractérisation
des personnages. Cette faiblesse, bien qu'handicapante, n'empêche
pas la réalisation de s'imposer en tête d'une maigre discographie,
même si elle risque d'accréditer la thèse injustement
répandue d'un Gluck bien peu viscéral.
Sévag TACHDJIAN
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