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BORDEAUX
25/03/2006
© Frédéric Desmesure
Giuseppe VERDI (1813 - 1901)
AÏDA
Opéra en 4 actes
Livret d’Antonio Ghislanzoni
d’après Camille du Locle et Auguste Mariette Bey
Mise en scène : Ivo Guerra
Décors : Giulio Achilli
Costumes : Bruno Fatalot
Lumières : Michel Theuil
Le Roi d’Égypte : Éric Martin-Bonnet
Amneris : Elena Manistina
Aida : Hui Hé
Radamès : Jeong Wong Lee
Ramphis : Alexander Vinogradov
Amonasro : Franck Ferrari
Un messagero : Pierre Guillou
La Grande-Prêtresse : Séverine Tinet
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux
Chef de chœur : Jacques Blanc
Direction musicale Marco Balderi
Bordeaux, Grand-Théâtre,
le 25 mars 2006, 20 heures
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Céleste Aïda
N’en déplaise à Christian Jacq (1),
la vie n’est pas toujours douce à l’ombre des
palmes. Au contraire de l’écrivain à succès,
Ivo Guerra, le metteur en scène de cette Aida, choisit de
proposer sans contresens majeur les dernières nouvelles
d’une Egypte barbare, où le fanatisme des hommes
répond à la folie des prêtres et des rois,
où les idoles dorées se dressent à
l’intérieur de temples obscurs taillés dans la
pierre brute plutôt que dans le marbre, où les esclaves
demi nus rampent sur le sol comme des bêtes, où la
scène du triomphe se transforme en autodafé, où
Amneris, en ses appartements, préfère la morsure du fouet
à la brise tiède des éventails de plume.
Elena Manistina pousse plus loin encore le masochisme en acceptant de
prendre une apparence monstrueuse. Le visage tatoué, le
crâne à moitié rasé, elle semble un
cauchemar échappé de la Mycènes de Richard Strauss
plus que de la Memphis de Giuseppe Verdi. Ainsi privée de
charme, la mezzo soprano russe se montre seulement vengeresse et oublie
d’être sensuelle. Les deux adjectifs appartiennent pourtant
à la fille de Pharaon. Les couleurs jouent sur les teintes
sombres, l’aigu frappe mais sans éclairer la toile, mat.
Le volume sonore, inférieur à celui de ses partenaires,
atténue la violence du trait. Le « Pace
t’imploro » adopte un ton de circonstance,
sépulcral, et referme l’opéra de manière
désespérée.
Par contraste, l’Aida de Hui He parait encore plus lumineuse. Butterfly en 2003 puis Tosca
la saison dernière sur cette même scène, la
dimension parfaite du Grand Théâtre lui permet, mieux
qu’à Paris il y a
deux mois, de respecter les nuances et de faire valoir le rayonnement
de sa voix. Après avoir (trop) prudemment
économisé ses forces dans le finale du deuxième
acte, elle confirme l’homogénéité de
l’émission, son onctueuse rondeur, sa musicalité.
L’ut du Nil hésite mais l’effet du contre-la
pianissimo qui referme l’air est enivrant, tout comme la caresse
suspendue du « Fuggiam, fuggiam » dans le duo
suivant. Victime asservie au pouvoir égyptien bien plus que
princesse éthiopienne, elle campe une petite femme au sens
puccinien du terme, petite mais, Radamès ne s’y trompe
pas, céleste.
Entre ces deux donzelles, le capitaine des gardes a vite fait son
choix. Une fois passé l’obstacle de sa romance
d’entrée au mépris de l’impossible si
bémol morendo, Jeong Wong Lee déploie pour
conquérir sa bien-aimée un chant sonore dont les
fondements reposent sur le métal plutôt que le velours au
détriment d’une certaine séduction. Le naturel et
l’engagement finissent cependant par l’emporter.
© Frédéric Desmesure
L’engagement
caractérise aussi l’Amonasro de Franck Ferrari. Il
s’accompagne d’une insolente projection et d’une
forte présence scénique. Dans ces conditions, les
imprécations du duo du troisième acte prennent le pas sur
l’imploration de « Ma tu, Re, tu signore
possente ». La figure du père cruel et impitoyable
s’impose, écrasante.
A côté, Alexander Vinogradov fait moindre impression. Sa
jeunesse altère le portrait de Ramfis quand elle servait, il y a
un peu moins d’un an, celui de Basilio du Barbier de Séville.
La beauté et la franchise du timbre n’y peuvent rien, il
faut au grand prêtre de Ptah, à défaut de
férocité, une inquiétante autorité qui est
le privilège d’un certain âge.
Reste le chef, Marco Balderi. Sa direction de Madama Butterfly
dans le grand hangar de la Bastille en janvier dernier n’avait
pas convaincu. L’acoustique de l’Opéra de Bordeaux
favorise mieux son propos, analytique avant d’être
théâtral au risque de sembler parfois en décalage
avec la vision sauvage du metteur en scène.
L’énorme triomphe de Radamès met d’ailleurs
l’orchestre et les chœurs en péril ; les
tableaux intimistes conviennent plus à cette lecture
appliquée.
Le public, quant à lui, jette aux orties cent cinquante
années de wagnérisme en manifestant son enthousiasme
après la plupart des grands airs et ensembles. Bordeaux se
départ de sa raideur britannique, lointain héritage
d’Aliénor d’Aquitaine, pour renouer avec ses racines
méridionales. Qui s’en plaindra ? Les
applaudissements galvanisent les chanteurs, les rassurent et les
poussent à se surpasser. La soirée n’en est que
meilleure. Pour un peu, on se croirait en Italie. La douceur de la
température - le thermomètre a dépassé les
20° dans la journée - participe à la confusion. Ce
n’est pas la vie douce telle que l’imagine Christian
Jacq ; c’est mieux encore : la « dolce
vita ».
Christophe Rizoud
Notes
(1) Que la vie est douce à l'ombre des palmes
: Dernières Nouvelles d'Egypte de Christian Jacq (XO). Le titre
de ce livre est donné à titre indicatif, afin de rendre
compréhensible la première et la dernière phrase
de cet article. Il ne s’agit pas d’une invitation à
sa lecture.
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