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STOCKHOLM
14/12/2007
Anne-Sofie von Otter (Orphée)
© Mats Bäcker Kungliga Operan
Christoph Willibald GLUCK (1714 - 1787)
ORPHEE ET EURYDICE
Opéra en trois actes
Livret de Ranieri de Calzabigi (1762)
traduit par Pierre-Louis Moline
(1774)
Version française revue par Hector Berlioz (1859)
Musique de ballet extraite
des versions originales italienne et française (1762/1774)
Mise en scène et chorégraphie : Mats Ek
Assistante à la chorégraphie : Anna Laguna
Décors et costumes : Marie-Louise Ekman
Eclairages : Erik Berglund
Orphée : Anne-Sofie von Otter
Eurydice : Marie Arnet
L'Amour : Marianne Hellgren Staykov
Danseurs : Jonna Aaltonen, Alexandra Campbell, Kate Lind af
Hageby, Jonna Savioja, Giovanni Bucchieri, Brendan Collins, George
Elkin, Jesper Hylin, Aleksandar Maksic et Göran Svalberg.
Orchestre et choeurs de l'Opéra Royal de Stockholm
Chefs des Choeurs : Folke Alin et Christina Hörnell
Direction Musicale : Sir Richard Armstrong
Opéra Royal de Stockholm, 14 décembre 2007
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INOUBLIABLE…
L’histoire d’amour entre l’Orphée
de Gluck et la Suède ne date pas d’hier… En effet,
la « version de Vienne », créée en
1762, fut donnée à l’Opéra Royal de
Stockholm le 25 novembre 1773, en suédois, dans une traduction
de F. Rothmann, avec des arrangements musicaux de Francesco Uttini, et
le rôle-titre déjà tenu par un ténor, Carl
Stendborg, alors que la création de la « version de
Paris » allait avoir lieu une année plus tard, en
1774.
Depuis, la tradition s’est perpétuée, avec
plusieurs séries de représentations, surtout dans la
version de Berlioz, mais l’œuvre, bien qu’elle ait
été reprise à Drottningholm en 1957, n’avait
plus été donnée à l’Opéra
Royal depuis 1944. D’où l’importance de cette
nouvelle production, dirigée par Mats Ek.
On ne présente plus le chorégraphe suédois,
danseur célèbre et fils de parents talentueux : son
père, Anders Ek, acteur fameux du Dramaten (Théâtre
Royal), sa mère, Brigitte Cullberg, créatrice des Ballets
du même nom, dont il allait assurer la direction de 1988 à
1994. Mats Ek est également réputé pour ses
relectures décapantes du répertoire classique : Le Lac des Cygnes, La Belle au bois dormant, et surtout Giselle, ainsi que pour ses créations, elles aussi plutôt décoiffantes.
Le Choeur
© Mats Bäcker Kungliga Operan
Cet Orphée,
était sa première mise en scène
d’opéra, et avouons le, sa vision radicale et novatrice
risque bien de remettre en cause une bonne partie de ce qui s’est
passé avant lui. Il faut en effet remonter à bien loin,
ou même à nulle part, pour rencontrer une telle force dans
l’urgence, qui cloue sur place le spectateur captivé et
conquis.
En effet, contrairement aux divers tics et manies du regietheater
sévissant sur bien des scènes, rien dans son travail
n’est gratuit : pas de provocation, ni de surcharge, tout va
droit au but et au cœur des choses, en un mot à
l’essentiel. Pas de complaisance non plus dans
l’esthétisme : la beauté vient de
l’intérieur et non de la surface. Le résultat est
sidérant car le chorégraphe est parvenu à ce que
d’autres avant lui ont essayé et souvent
manqué : une totale symbiose entre la musique, le chant et
la danse, le corps et la voix. Chez lui tout est imbriqué, il
abolit les frontières, et ce qu’il parvient à
obtenir de tous ses interprètes, danseurs, choristes et solistes
confondus, est tout bonnement époustouflant.
Il a choisi de montrer Orphée, non sous les traits d’un
homme jeune et beau mais sous l’apparence d’un vieillard,
ce qui, on s’en doute, change quelque peu la donne.
L’enfant chéri des muses ne resplendit plus dans
l’éclat de sa jeunesse et de sa beauté, non,
c’est un vieil homme fatigué s’endormant dans son
fauteuil en lisant son journal, marchant à petits pas,
égaré, désespéré et seul. Et, autant
que l’amour pour la bien-aimée c’est aussi la
solitude qui l’habite, et même le hante…
Anne-Sofie von Otter (Orphée)
© Mats Bäcker Kungliga Operan
L’Enfer vu par Mats Ek est plutôt sordide, peuplé
d’êtres parfois difformes, en majorité des hommes,
dansés et chantés également par les danseuses et
choristes femmes. Le monde des Champs Elysées semble plus
serein. Cette fois, tous, hommes et femmes, portent des robes de
mariées d’un blanc immaculé : tulle, satin,
voiles, ainsi que des perruques blanches (clin d’œil au
XVIIIème siècle, allusion à la vieillesse ?).
L’Enfer serait donc masculin, le Paradis féminin ? On
comprend vite que cet autre monde, en apparence plus paisible, est
aussi triste que celui qui précède, car, en Enfer comme
au Paradis, une seule chose est certaine : la mort…
D’ailleurs, l’Enfer ne serait-il pas plutôt
domestique ? Fidèle à sa critique très
récurrente du mode de vie bourgeois et routinier (Voir sa
pièce « L’appartement ») Mats Ek,
aidé de sa fidèle complice, la décoratrice Marie-Louise Ekman,
place Orphée et Eurydice au milieu
d’éléments familiers du quotidien : lampe,
fauteuil, porte, plaque de cuisson, déjà à
l’état de dessins sur des panneaux blancs,
lorsqu’ils se trouvent au Paradis, totalement
matérialisés quand les époux reprennent leur
« vie de couple ». Laquelle ne semble pas
franchement idyllique, Orphée martyrisant Eurydice, refusant de
la laisser sortir, l’ignorant pour se plonger dans la lecture de
son journal… Et l’Amour ? L’Amour
rédempteur et pacificateur, divinité entortillée
de bandelettes blanches comme une momie, censé sceller le
« happy end », s’enfuira dans les limbes,
laissant Orphée à son isolement et à sa tristesse,
seul face à la vieillesse et à la mort…
Vision sombre et pessimiste, certes, mais ne l’oublions pas, nous
sommes au pays de Bergman et de Strindberg, Strindberg dont la maison
n’est pas loin, juste plus haut dans Drottingatan (la rue de la
Reine), Strindberg qui plongea au plus profond de l‘Inferno (ouvrage qu’il écrivit directement en français).
Et si cette lecture nous touche si profondément, nous bouleverse
et nous hante, c’est parce qu’Orphée, quelque part,
c’est un peu chacun d’entre nous, pauvres humains
appelés à connaître un jour ou l’autre la
perte d’êtres chers, la vieillesse et la mort.
Dirigés par un guide comme Mats Ek, il est évident que
tous les interprètes ne peuvent que se dépasser. A tel
point que, parfois, on ne parvient pas toujours à distinguer les
danseurs des choristes.
Quant aux solistes, ils ne sont pas en reste, Anne-Sofie von Otter,
en tête, qui avait déjà assuré la
première et qui alterne avec une autre cantatrice
suédoise, Anna Larsson.
Von Otter excelle dans le rôle d’Orphée,
qu’elle a enregistré avec John Eliott Gardiner, et
chanté sur bien des scènes, et il y a deux ans à
Munich, dans la production très contestable de Nigel Lowry et
Amir Hosseinpour, à laquelle nous avions assisté. Comme
nous le précisions dans notre article
sur ce spectacle, sa longue fréquentation d’une tessiture
flirtant avec le soprano a rendu ses graves moins ronds et moins
sonores, mais l’interprète, son exemplaire diction en
français, son art de la coloration et de la déclamation,
son impeccable colorature et sa grande expressivité, sont
toujours au rendez-vous, ô combien, avec une valeur
ajoutée inattendue : ce que lui demande Mats Ek, et qui
constitue une véritable performance, elle le réussit
au-delà de toute espérance. N’oublions pas
qu’après tout, avant de devenir chanteuse, elle voulait
être « prima ballerina », comme elle le dit
elle même, et qu’au Palais Garnier sa métamorphose
en Yolande des Deschiens dans Les Sept Péchés capitaux de Kurt Weill (Hommage à Boris Kochno – Novembre – décembre 2001) était on ne peut plus convaincante.
Cette fois, méconnaissable en vieux monsieur un peu bedonnant,
tremblant et trottinant, elle surprend, bouleverse, déconcerte
même, pour finir par rafler la mise, et à
l’applaudimètre, faire un véritable triomphe.
Marie Arnet Otter (Eurydice)
© Mats Bäcker Kungliga Operan
Son Eurydice, Marie Arnet,
dotée d’une voix pure et fruitée, est
également magnifique de style, d’expression et de
grâce scénique. Notons quelle fut une belle Suzanne des Noces de Figaro à l’English National Opera fin 2006 - début 2007.
Enfin, il convient de saluer aussi la performance de l’Amour de Marianne Hellgren Staykov,
qui doit à certains moments chanter à
l’horizontale, portée par deux danseurs, et y parvient
fort joliment.
L’orchestre, à qui Mats Ek a demandé
d’être aussi partie prenante dans la dramaturgie, du moins
avant et pendant l’Ouverture, est absolument formidable, tout
comme le chef, Sir Richard Armstrong, qu’on sent en totale symbiose avec ce qui se passe sur scène.
Un tel travail d’équipe fait plaisir à voir et
à entendre, car une réussite aussi probante n’est
pas si fréquente. Standing ovation pour toute
l’équipe et critiques dithyrambiques dans la
presse…..
A tel point que nous souhaitons, pour conclure, citer le texte
écrit par André Tubeuf dans l’Avant Scène
Opéra consacré à Orphée :
« C’est donc cela, et cela seulement,
Orphée : une présence. Présence de
l’âme dans un chant. » Et encore :
« Vous voici prévenues, âmes idylliques qui
vous figurez que le contact du beau est plaisant. Il tue. »
Juliette BUCH
NB :
Ce spectacle sera donné jusqu’en mars 2008 à
l’Opéra de Stockholm, dans deux distributions en
alternance : Site www.operan.se.
Par
ailleurs, une série de soirées consacrées à
deux créations de Mats Ek : « La Maison de
Bernarda » et « Une sorte de… »
aura lieu à l’ONP, au Palais Garnier, en avril/mai 2008.
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