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COLOGNE
10 & 11/03/2007
Richard WAGNER (1813 – 1883)
Der Ring des Nibelungen
Spectacle scénique en 3 journées avec un prologue (1876)
Poème du compositeur d’après le fonds mythologique et héroïque germanique
Mise en scène : Robert Carsen
Décors et costumes : Patrick Kinmonth
Lumières : Manfred Voss
DAS RHEINGOLD
Wotan, Philip Joll
Donner, Samuel Youn
Froh, Hauke Möller
Loge, Arnold Bezuyen
Alberich, Oskar Hillebrandt
Mime, Johannes Preißinger
Fasolt, Andreas Hörl
Fafner, Dieter Schweikart
Fricka, Dalia Schaechter
Freia, Machiko Obata
Erda, Anne Pellekoorne
Woglinde, Julia Borchert
Wellgunde, Regina Richter
Floßhilde, Viola Zimmermann
DIE WALKÜRE
Siegmund, Thomas Mohr
Hunding, Dieter Schweikart
Wotan, Ralf Lukas
Sieglinde, Ricarda Merbeth
Brünnhilde, Irene Theorin
Fricka, Dalia Schaechter
Gerhilde, Magnea Tómasdóttir
Ortlinde, Katharina Leyhe
Waltraute, Regina Richter
Schwertleite, Katja Boost
Helmwige, Machiko Obata
Siegrune, Andrea Andonian
Grimgerde, Gundula Schneider
Rossweiße, Kristina Wahlin
SIEGFRIED
Siegfried, Stefan Vinke
Der Wanderer, Philip Joll
Alberich, Oskar Hillebrandt
Mime, Johannes Preißinger
Fafner, Dieter Schweikart
Erda, Anne Pellekoorne
Brünnhilde, Barbara Schneider-Hofstetter
Stimme des Waldvogels, Insun Min
GÖTTERDÄMMERUNG
Siegfried, Albert Bonnema
Brünnhilde, Irene Theorin
Gunther, Samuel Youn
Alberich, Oskar Hillebrandt
Hagen, James Moellenhoff
Gutrune, Regina Richter
Waltraute, Dalia Schaechter
1.Norn, Dalia Schaechter
2.Norn, Viola Zimmermann
3.Norn, Machiko Obata
Woglinde, Julia Borchert
Wellgunde, Kristina Wahlin
Floßhilde, Viola Zimmermann
Gürzenich Orchester Köln
Direction musicale : Markus Stenz
Oper der Stadt, Cologne, les 10 et 11 mars 2007
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Marathon wagnérien
La performance relève de l’exploit, pour le
théâtre comme pour le spectateur : représenter
l’intégralité de la Tétralogie
wagnérienne – 4 opéras, plus de 14 heures de
musique – en deux jours, du samedi midi au dimanche minuit.
Initiée en 2000 et achevée quatre ans plus tard, la
production de Robert Carsen pour l’Opéra de Cologne trouve
ainsi un nouvel accomplissement.
Au-delà de la prouesse, technique et physique,
l’expérience offre une occasion rare
d’appréhender le cycle dans sa globalité sur une
courte durée et ainsi de mieux percevoir la vision du metteur en
scène car depuis Patrice Chéreau, le fait est
entendu : pas de Ring sans message. Alors justement, quel est celui de Robert Carsen ?
Au terme de ce marathon, face au rideau fermé devant lequel
Brünnhilde s’immole, la réponse se confirme : il
n’y en a pas ! L’anneau du Nibelung, pour le metteur
en scène canadien, est constitué d’une succession
de scènes qui forment une histoire sans plus de
signification ; comme Bob Wilson (1) à
Paris l’année dernière d’ailleurs, à
la différence que Robert Carsen ne se réfugie jamais dans
l’abstraction. Tous les éléments du livret, ou
presque (2), sont respectés avec un grand souci
du détail, des pommes de Freia jusqu’à
l’oiseau empaillé et un peu ridicule qui guide Siegfried
dans la forêt.
Les décors évoquent un monde en état de
siège, celui d’une troisième guerre mondiale qui se
déroulerait à notre époque. Le Rhin ressemble
à une décharge ; Siegmund et sa famille
déambulent en vêtements de combat - pantalons de treillis
et tenue de camouflage - les Nibelungen ont l’allure de SDF
– Mime habite d’ailleurs une caravane (3) que ne renieraient pas Les enfants de Don Quichotte.
Ce réalisme violent n’empêche pas la force, voire la
beauté de certaines images : le prélude de L’or du Rhin
– des hommes vêtus de gris traversent la scène de
gauche à droite, de plus en plus nombreux au fur et à
mesure que la musique accélère – la montée
des dieux vers le Walhalla sous un rideau de neige tandis que Wotan et
Fricka esquissent un pas de valse, l’intrusion de soldats et de
chiens policiers dans la demeure de Hunding transformée en camp
militaire ou encore, à la fin de l’oeuvre, le dialogue
dans l’obscurité entre Alberich et Hagen endormi.
Malgré ces moments de génie et une direction
d’acteurs remarquable – rarement les filles du Rhin
n’ont paru aussi liquides - la production de Robert Carsen
atteint souvent ses limites quand il s’agit, par exemple, de
représenter le rocher de Brünnhilde - vaste et vide
paillasson que le metteur en scène ne parvient pas à
habiter – ou l’embrasement du Walhalla. Le choix du rideau
fermé apparaît alors comme un constat d’échec.
Heureusement, d’un point de vue musical, la distribution des
quatre œuvres, quant à elle, ne présente pas la
moindre faille si ce n’est le Siegfried chancelant d’Albert
Bonnema dans Le Crépuscule des Dieux.
Equilibrée, homogène, d’une qualité
largement supérieure à celle du Châtelet la saison
dernière, elle brille par la présence de quelques
chanteurs exceptionnels.
On relève, pour commencer, le nom de Samuel Youn, Donner puis
plus tard Gunther impérieux au métal unique et
précieux. L’interprétation peut sembler parfois
monolithique mais les deux rôles n’appellent pas plus de
caractérisation.
Arnold Bezuyen, à l’inverse, présente un Loge
bigarré dont les couleurs changeantes savent traduire la
complexité du personnage.
Dans La Walkyrie ;
Thomas Mohr possède le profil idéal de Siegmund :
héroïque mais suffisamment sombre pour se distinguer de son
fils avec, cerise sur le gâteau, des
« Wälse ! » d’une longueur
à couper le souffle.
Irène Théorin franchit allégrement
l’obstacle des premiers « Hojotoho ! »
de Brünnhilde. Moins à son avantage ensuite durant la
première journée, comme désengagée, il faut
attendre Le Crépuscule des Dieux
pour qu’elle donne sa pleine mesure, dans le duo avec Waltraute
d’abord puis surtout lors du deuxième acte qu’elle
enfièvre par sa vaillance jusqu’à l’air final
où le chant atteint sans peine les notes les plus
élevées. Loin de la lame épaisse mais tranchante
d’une Astrid Varnay à laquelle peuvent s’apparenter
– en plus émoussées – certaines titulaires du
rôle aujourd’hui (Lisa Gasteen, Linda Watson…), la
voix évoque un fleuret plutôt qu’une
épée, précise dans l’aigu, souple et solide
sur toute la tessiture avec un éclat argenté qui donne
à la fille de Wotan jeunesse et féminité, deux
qualités souvent mises à mal par les exigences de la
partition.
Barbara Schneider-Hofstetter propose un autre portrait de Brünnhilde dans Siegfried,
plus sensuel, presque voluptueux. L’étoffe vocale se
déploie somptueuse ; seule fait défaut la franchise
de l’aigu.
Impossible enfin d’oublier le bouillonnant Siegfried de Stefan
Vinke qui offre au héros wagnérien ce mélange
complexe d’ardeur juvénile, d’audace et
d’innocence. Avec un tel tempérament, le ténor
éprouve plus de difficultés à traduire les
tourments intérieurs du personnage mais l’énergie
démontrée tout au long de l’opéra – et
Dieu sait si le rôle est épuisant – balaye tout sur
son passage.
Markus Stenz peine à discipliner les cuivres du Gürzenich
Orchester Köln mais, bon an mal, parvient à triompher des
vents et marées wagnériens. Sa direction,
inébranlable d’une oeuvre à l’autre, joue
l’équilibre, sonore avec un excellent rapport entre la
scène et la fosse, mais aussi dramatique, sans abus de lyrisme
ou d’introspection.
Enfin, ultime épreuve pour celui qui ne parle pas allemand,
l’ensemble du cycle est présenté sans surtitres.
Preuve au choix que le public connaît son Wagner sur le bout de
doigts, que la diction des chanteurs est infaillible ou que
l’Opéra de Cologne ne dispose pas des moyens
nécessaires. Peut-être les trois à la fois ?
Christophe RIZOUD
(1) Voir les critiques sur notre site :
Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried, Götterdämmerung
(2)
Parmi les quelques infidélités, Wotan n’est plus
borgne. Plus gênant, Hagen ne se jette pas dans le brasier
à la fin de Götterdämmerung pour
récupérer l’anneau. Musicalement, il en perd
– c’est dommageable – sa dernière
réplique. Scéniquement, il ne meurt pas, ce qui touche au
contresens.
(3)
Pour l’anecdote, la caravane en question a donné lieu
à une scène cocasse. Elle est largement utilisée
lors du premier acte de Siegfried. Mime y entre et y sort de nombreuses
fois, notamment lors de son duo avec le Wanderer. A un moment, Johannes
Preißinger, pris dans le feu de l’action, a claqué
la porte avec une telle violence que la poignée est
tombée par terre et qu’il s’est retrouvé
enfermé à l’intérieur de la roulotte. Tout
en continuant de chanter, Philip Joll a alors tenté, l’air
de rien, de débloquer la situation mais en vain.
Preißinger pour s’en sortir a finalement été
obligé de sauter par la fenêtre à la plus grande
joie des spectateurs.
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