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PARIS
20/05/2008
Violeta Urmana
© Fred Toulet/Salle Pleyel
Récital Violeta Urmana
Violeta Urmana : soprano
Jan Philip Schulze : piano
Richard Wagner
Wesendonck Lieder
Sergueï Rachmaninov
Kak mne bol'no, op. 21 no. 12
Vocalise, op. 34 no. 14
Dissonans, op. 34 no. 13
Zdes' khorosho.., op. 21 no. 7
Vesennije vodv, op. 14 no. 11
Entracte
Richard Strauss
Frühlingsgedränge op. 26 no. 1
Wasserrose op. 22 no. 4
Wir beide wollen springen WoO 90
Befreit op. 39 no. 4
Zueignung op.10 no .1
Mit deinen blauen Augen op. 56 no. 4
Schlechtes Wetter op. 69 no. 5
Giacomo Puccini
Vissi d’arte – extrait de Tosca
Amilcare Ponchielli
Suicidio – extrait de La Gioconda
Giuseppe Verdi
Pace, pace - La Forza del Destino
Bis
Francis Poulenc
Violon
Richard Strauss
Cäcilie
Fernando Obradors
Coplas de Curro Dulce
Chanson folklorique lituanienne
Paris,
Salle Pleyel, 20 Mai 2008
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Une grande voix
Des grandes voix, il y en a beaucoup – une série de
concerts parisiens, une collection de disques chez Decca le prouvent
– et il y en a peu. Tout dépend de la manière dont
on comprend l’adjectif : grand veut-il dire illustre,
étendu, large, généreux, exceptionnel ou
puissant ? Cecilia Bartoli, dont la renommée n’est
plus à démontrer et dont l’ambitus
balaye plusieurs octaves, est-elle une grande voix ? Oui
assurément et pourtant non si l’on choisit de prendre le
terme dans tous ses sens. Partant de ce principe, exit les
contre-ténors et une bonne partie des baroqueux ; exit les
formats fameux, timbrés et sonores mais dépourvus
d’ampleur : Juan-Diego Florez, Natalie Dessay ; exit
les divas à court de graves et à bout d’aigus, les
ténors dont la voix s’est cassée à trop
vouloir embrasser, ceux qui, en concert, se limitent au minimum
syndical – généreux, on a dit – et bien
entendu, exclus tous les chanteurs pas ou peu connus.
A ce petit jeu, qui reste-t-il ? Une poignée d’artistes parmi lesquelles Violetta Urmana, trouve naturellement sa place ; son récital salle Pleyel nous le rappelle. Reprenons.
Illustre, la cantatrice lituanienne l’est depuis le début
de sa carrière ou presque, dans sa première vie de
mezzo-soprano - Kundry au Metropolitan Opera de New York en
2001 – dans la seconde aussi, après qu’elle eut
viré sa cuti en décembre 2002 : Iphigénie (en
Aulide) à La Scala, Sieglinde à Bayreuth, Leonora (La Forza del destino) et Lady Macbeth
à Londres. Elle collectionne avec succès les plus grandes
scènes. Et Paris ? Patience, la saison prochaine de
l’Opéra National nous la promet (*).
Célèbre au point de compter dans sa discographie
plusieurs rôles aux côtés de grands chanteurs et de
grands chefs : Azucena dans Il trovatore enregistré pour Sony par Riccardo Muti, Gioconda avec Placido Domingo et Marcello Viotti dans la dernière intégrale studio de l’œuvre de Ponchielli, Judith dans le Château de Barbe Bleu
dirigé par Marek Janowski, etc. Aimée enfin si
l’on en croit les applaudissements chaleureux qui accueillent son
entrée sur la scène de Pleyel et les bouquets de fleurs
qui saluent sa sortie.
Généreuse, il suffit pour s’en assurer
d’examiner le programme qui enchaîne sans pause Wagner,
Rachmaninov puis après l’entracte, Strauss et trois des
plus grands airs du répertoire italien. Certains murmureront que
Ponchielli, Puccini et Verdi n’ont été
placés là qu’afin d’attirer le chaland.
Peut-être et peu importe quand ils sont comme ici
fièrement envoyés par une voix qui se joue des tensions
et des écarts de registre. Prodigue dans un chant qui ne cherche
pas à s’économiser et qui se déploie en un
flot somptueux durant près de deux heures, sans intermède
instrumental, sans entrées et sorties à tire-larigot,
trouvant encore le moyen de proposer en bis 4 mélodies dans 4 langues différentes (français, allemand, espagnol et lituanien).
Puissante, elle emplit sans peine l’espace de la Salle Pleyel
(qui, on le sait, n’est pas la plus favorable aux voix) et reste
présente jusque dans les passages les plus incommodes, sans user
d’artifices pour gagner en sonorité, sans même
poitriner, ce qui soi dit en passant n’aurait pas
forcément nui à l’air de Gioconda, la beauté
tragique de « Suicidio » résidant dans
l’emphase et l’utilisation aveuglante du clair-obscur
d’un extrême à l’autre de la portée.
Etendue de par sa nature ambiguë : mezzo confortable aux
graves assurés et, dans la continuité, soprano au medium
solide, à l’aigu précis (ces types de voix hybrides
ont parfois tendance à attaquer la note haute un peu bas ;
ce n’est pas le cas de Violeta Urmana). Homogène et ample
donc. Les larmes des Wesendonck-Lieder
transsudées par Richard Wagner soulignent d’abord
l’art de la déclamation et flattent les registres
inférieurs de la voix qui s’accomplit dans un Im Treibhaus
oppressant sur lequel elle tend comme un large voile noir. Avec
Rachmaninov, elle aborde des territoires plus sopranisants et
commence à révéler sans perdre en nuances toutes
ses dimensions : longueur et largeur. Parmi les 5 mélodies
proposées, ce sont les accents hérissés de
« Dissonans » qui l’emportent, plus que la
fameuse « vocalise » appliquée mais peu
habitée. Défaut d’expression qui nuira aussi aux lieder de Richard Strauss, et plus particulièrement à la ferveur de Zueignung, malgré les beautés du timbre et du legato,
mi en valeur comme toujours par l’écriture amoureuse du
compositeur viennois. Les trois airs italiens rendent encore plus
tangible l’absence de flamme, cette torche avec laquelle les plus
grandes incendient les planches. La prière de Tosca
y gagne une certaine élégance mais la technique
remarquable de « Suicidio » et « Pace
pace mio dio » ne rachète pas leur manque
d’intensité.
Jan Philip Schulze
se charge heureusement d’apporter le complément de
fièvre. Son interprétation romantique - Wagner
évidemment mais aussi Rachmaninov et Strauss qui ont rarement
sonné autant « XIXe siècle » -
finit par donner au piano une place inhabituelle dans ce genre de
récital. Exalté tout en restant subtil, son jeu sait
aussi se teinter d’un humour qu’il communique à sa
partenaire le temps de « Coplas de Curro Dulce »
(elle fait alors mine de chasser les mouches tout en vocalisant).
Intrigué, séduit, on découvre en lisant sa
biographie dans le programme que Jan Philip Schulze est
l’accompagnateur attitré de Violeta Urmana ; ce
n’est peut-être pas un hasard.
Christophe RIZOUD
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(*) Macbeth de Verdi les 7, 10, 13, 17, 20, 23, 26 et 29 avril 2009.
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