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Antonio VIVALDI (1678-1741)
Atenaide
RV 702-B
Dramma per musica in tre atti (1728)
ATENAIDE/EUDOSSA : Sandrine Piau, soprano
TEODOSIO : Vivica Genaux, mezzo-soprano
PULCHERIA : Guillemette Laurens, mezzo-soprano
VARANE : Romina Basso, mezzo-soprano
MARZIANO : Nathalie Stutzmann, contralto
LEONTINO : Paul Agnew, ténor
PROBO : Stefano Ferrari, ténor
Modo Antiquo
Federico Maria Sardelli, direction
Enregistrement réalisé en avril 2007
NAÏVE OP 30438 (3 disques)
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Sardelli fait de la résistance
Nous voici déjà à mi-parcours d’une
entreprise parmi les plus ambitieuses de ces vingt dernières
années : l’enregistrement des quelque quatre cents
cinquante manuscrits autographes de Vivaldi conservés à
la bibliothèque de Turin, un chantier colossal ouvert en 2000 et
qui devrait s’achever en 2015. Sur près d’une
trentaine de publications d’un niveau souvent excellent, six ont
déjà été consacrées à des
intégrales d’opéra : L’Olimpiade, La verità in cimento, Orlando finto pazzo, Orlando furioso, Tito Manlio et Griselda.
D’un point de vue strictement théâtral, ce
septième opus n’est pas un grand cru. En 1728, quand
l’impresario et compositeur vénitien reçoit la
commande de cette Atenaide,
le livret d’Apostolo Zeno existe déjà depuis vingt
ans mais n’a connu qu’une seule mise en musique
signée Andrea Fiore, Antonio Caldara et Francesco Gasparini.
Rien n’étonne moins à sa lecture : bavard,
inutilement compliqué, sans véritable force ni
cohérence dramatique, il n’offre guère
d’attrait. La faiblesse de l’intrigue n’est
certainement pas étrangère à l’échec
de ce prétendu dramma per musica conçu pour le
carnaval de Florence. Avant d’invoquer, comme le fait la notice,
une hypothétique cabale, l’animosité des patriciens
à l’endroit de Vivaldi, l’engouement du public pour
le style napolitain ou encore son snobisme à
l’égard d’Anna Girò, il faudrait
peut-être chercher dans l’œuvre elle-même les
raisons de cet accueil glacial.
Entichée d’un prince persan, le (forcément) beau
Varane, Atenaide fuit ce bonheur (de peur qu’il ne se
sauve ?) et quitte Athène pour Byzance où son
philosophe de père (Leontonio) la rebaptise Eudossa (Eudoxie).
Elle se lie d’amitié avec Pulcheria, sœur de
l’empereur Teodosio (Théodose), qui succombe à ses
charmes et lui promet le trône. Tout irait pour le mieux dans le
meilleur des mondes si le futur marié ne jouait pas les marieurs
en jetant sa sœur dans les bras de Varane, invité à
la cour. Contrariés dans leurs plans, les soupirants de
Pulcheria cherchent à faire échouer cette alliance. Mais
la Fortune leur sourit ! Une fois n’est pas coutume dans les
ficelles de l’opera seria, Atenaide n’a pas troqué
ses jupons contre un pantalon : elle a simplement changé de
nom. Varane ne tarde donc pas à la reconnaître et se
détourne de Pulcheria, etc. Après une ouverture
générique, assez quelconque (1),
l’opéra débute par un interminable dialogue (plus
de sept minutes !), entre flash-back et tirade moralisatrice,
où Leontino évoque les visions sibyllines qui l’ont
conduit à briser la liaison d’Atenaide et Varane, puis
énumère les vertus d’une épouse
modèle. Vous l’aurez compris, le récitatif foisonne
dans ce livret au mieux insipide, au pire rasoir. Cependant, si
l’argument ne passionne guère, la partition regorge de
scènes magnifiques, où l’ivresse de la voltige le
dispute à la finesse et à l’originalité des
portraits psychologiques. Vivaldi recycle (Orlando furioso, Farnace), mais il écrit aussi de nouvelles pages pour quelques grands gosiers de l’époque : le ténor Annibale Pio Fabri (Leontino), la soprano Maria Giustina Turcotti (Atenaide/Eudossa), sa fidèle Anne Girò (Pulcheria) ou encore le jeune castrat milanais Gaetano Valletta
(Teodosio). Même les rôles secondaires sont richement
dotés, en particulier Marziano, un des prétendants de
Pulcheria, auquel revient l’insolite « Cor mio che
prigion sei », avec sa délicate traîne de pizzicati.
Moins médiatisé que d’autres chefs italiens, Federico Maria Sardelli
appartient à cette espèce plus discrète des
explorateurs et rats de bibliothèque : on lui doit la
redécouverte d’Arsilda Regina di Ponto, de Tito Manlio – qu’il a enregistrées pour le label CPO –, de Motezuma
ainsi que la recréation d’Atenaide, en 2006, dans ce
même Teatro della Pergola qui la vit naître il y a 279 ans
– Naïve a eu la bonne idée d’y installer ses
micros en avril dernier. Mais il se distingue aussi en rejoignant une
poignée d’irréductibles (Enrico Gatti, Alan Curtis, Chiara Banchini…) dans la résistance, plus ou moins explicite, au diktat de l’exubérance et de la gesticulation à tout crin : « Je
suis de plus en plus convaincu de la nécessité de
rétablir Vivaldi dans son rôle de compositeur classique,
dans le sens d’exemplaire, équilibré,
paradigmatique, et de le soustraire à la fâcheuse
tendance, très en vogue aujourd’hui, qui veut faire de lui
un prodige d’extravagance et de convulsions rythmico-dynamiques
presque toujours arbitraires. Vivaldi écrit ses partitions avec
un soin remarquable, même dans la hâte, et
l’extrême précision de ses indications dynamiques,
articulatoires et expressives nous fait clairement comprendre que toute
addition, toute manipulation doit être longuement pensée
et surtout justifiée. » De fait, il
n’est pas nécessaire de jouer plus vite ou plus fort, de
sur accentuer, de souligner les contrastes dynamiques, de multiplier
les effets expressionnistes et grandiloquents pour susciter et
maintenir l’intérêt de l’auditeur moderne. Le
génie de Vivaldi n’est pas bancal : il demande
seulement à être compris et servi avec enthousiasme,
certes, mais aussi intelligence et humilité. Fluide,
légère, élégante, alerte et bondissante
quand il le faut, mais toujours nuancée, la direction de
Sardelli en offre une brillante démonstration: la musique
respire et recouvre son pouvoir de suggestion, son incroyable
picturalité (même si d’aucuns regretteront que la
ligne l’emporte sur la couleur).
Par contre, en matière de chant, son approche laisse perplexe. Exit
la liberté des interprètes : Sardelli ornemente
lui-même ; soit, ce n’est pas le premier
à agir de la sorte, mais il affiche une sobriété
qui flirte souvent avec l’indigence et néglige par trop le
sel des cadences. Ce minimalisme finit par tourner au contresens en
éludant la raison d’être du Da Capo :
permettre au chanteur d’affirmer son talent en surprenant le
public, non par la surenchère pyrotechnique ou
décorative, mais par l’invention, le raffinement, le
goût dont il fait preuve dans ses improvisations. En
l’occurrence, seule la personnalité du maestro s’exprime, avec une prédilection pour les passages en staccato qui tombent mal dans les cordes de Sandrine Piau. Dans un rôle qui relève pour l’essentiel du canto fiorito,
tour à tour échevelé et gracieux, où elle
excelle, la virtuose semble un rien empruntée, moins
pétillante qu’à l’habitude. Une artiste de
cette trempe n’a nul besoin d’un mentor pour embellir une
reprise et sa prestation aurait probablement un autre
éclat si elle avait pu laisser libre cours à sa
fantaisie. S’il est difficile de croire à
l’effondrement moral de l’héroïne dans sa
grande déploration en fa mineur (« In bosco
romito »), ce n’est pas qu’une question de
couleur vocale, mais aussi d’inspiration, celle du chef, qui
peine à traduire le pathos de la scène.
Plus athlétique que jamais, Vivica Genaux parle sa langue et nous régale, en particulier dans l’aria empruntée à Orlando,
« Alza in quegl’occhi » (Alcina),
rhabillée de nouvelles paroles (« M’accende
amor »). Que ses admirateurs, inquiets de la voir
étiquetée « soprano », se
rassurent : elle ne met pas davantage sa voix en danger en
incarnant l’empereur de Byzance qu’hier Philippe Jaroussky
en prêtant la sienne à Roberto dans Griselda,
deux rôles destinés au même chanteur et qui
évoluent dans une tessiture relativement confortable. Sans doute
légèrement avantagée par le fait d’avoir
déjà endossé le costume de Varane en concert
(Sienne, 2006), Romina Basso séduit
d’emblée par la beauté de l’organe, pourpre
et lumineux, mais aussi par une ardeur jouissive dans la bravoure et un
engagement de tous les instants. Sa partie exige toutefois
d’autres assises que celles d’un mezzo. L’absence de
graves se révèle particulièrement frustrante dans
« Nel profondo cieco orrore [mondo] »,
hanté, il est vrai, par le souvenir de Marilyn Horne. Avec Guillemette Laurens,
nous glissons dans la catégorie poids plume, éloquente et
très agile, mais de modeste envergure (« Sorge
l’irato nembo »). Le tempérament, le
métier, n’en restent pas moins admirables et nous
arrachent plus d’une fois à la torpeur où
s’enlise le babil de Zeno. L’éloquence et le style
sont des vertus qu’elle partage avec Nathalie Stutzmann, enfin de retour en terres vivaldiennes depuis sa mémorable performance dans La verità in cimento. Il me coûte de l’écrire, mais la rumeur annonçant le déclin de Paul Agnew, affecté ici d’un très pénible vibrato,
semble se confirmer. Cependant, les moyens ne sont pas tout et,
même fatigué, ce musicien supérieurement
doué pourrait en remontre à Stefano Ferrari, moins assuré et convaincant que l’ensemble de ses partenaires.
En conclusion, trois étoiles ne sont pas de trop pour saluer la
renaissance d’une partition volontiers grisante et
l’émergence d’une nouvelle étoile : Romina Basso.
Bernard SCHREUDERS
Note
Sardelli comble une lacune du manuscrit en important une sinfonia isolée (RV131).
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