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Portrait
Après
Anna, la belle brune, native de Russie, voici, chez Deutsche
Grammophon, la belle blonde, lettone. Evidemment commencer ainsi une
chronique lyrique augure mal de la suite. Mais voilà, tout
semble fait, notamment par sa maison de disques, pour qu’une
rencontre avec Elina Garanča ne laisse pas insensible. Voyez les photos jointes à ce dossier ou celles sur son site internet !
Cette jeune femme, née à Riga en 1976 (vous avez
remarqué ? D’habitude la date de naissance
d’une chanteuse est mieux protégée que les secrets
d’Etat), « just married », en 2006,
dégage une impression de sérénité
impressionnante pour son jeune âge. Elina Garanča sait ce
qu’elle vaut et ce qu’elle veut. Elle vient de faire ses
débuts à Paris, dans Cosi
mis en scène par Chéreau ; elle débutera
cette année au Met, dans Rosina et sort en cette fin janvier son
premier disque pour Deutsche Grammophon. « La »
Deutsche Grammophon dont elle nous confiait qu’elle était,
Karajan aidant, la seule maison de disques connue en Lettonie
« avant ». Avant, dans l’autre vie, celle
où les perspectives étaient fermées et où
les seuls chanteurs un peu connus étaient les stars du Bolchoi.
Débutante donc ? Voire. Depuis 10 ans et ses premiers
engagements au théâtre de Meiningen, puis à
Francfort à partir de 2000, elle a enchaîné les
productions dans ces troupes à l’allemande, si utiles pour
se forger un métier et une expérience. Giovanna Seymour,
Rosina, Orlofsky, Oktavian ont été ainsi abordés
dans ce contexte stimulant et rassurant à la fois. Le
décollage vient avec les compétitions internationales,
d’abord à Vienne au concours du Belvedere (demi-finaliste)
puis surtout avec le concours Miriam Helin en Finlande, qu’elle
gagne en 1999, et celui de Cardiff en 2001 où elle est
finaliste. En 2003, l’opéra de Vienne s’attache ses
services et le même principe qu’à Meiningen et
Francfort lui permettra de roder ses rôles fétiches
auxquels viendront s’ajouter Meg et Lola puis Dorabella, Annio,
Nicklausse et la muse, Cherubino plus récemment encore,
ainsi que Charlotte. Pour découvrir Elina Garanca, il n’y
a peut-être pas de meilleur moyen que ce Werther viennois gravé en DVD
avec Marcello Alvarez. La production est moderne et Elina, en blonde
platinée « à la Marylin » y est
magnifique. Vocalement, je veux dire. Son français est sans
doute perfectible – son allemand et son anglais sont excellents
-, mais l’émotion est au rendez-vous et, avec Marcello, il
sont incandescents.
Photographie © Wiener Staatsoper
Le public parisien l’a découverte en 2004 dans la reprise de la Cenerentola
au Théâtre des Champs Elysées mis en scène
par Irina Brook où Elina a succédé à Vivica
Genaux. Une nouvelle reprise, avec un DVD, sont envisagés pour
2009. Puis il a eu une Missa Solemnis avec l’Orchestre national de France dirigé par Kurt Masur et, en 2005, les débuts à Aix dans Dorabella, et à Garnier dans Sesto et Dorabella encore. Fin décembre, elle a remplacé les remplaçantes des remplaçantes dans le Rosenkavalier
de la Bastille. Excusez du peu. Elle nous a indiqué avoir
rencontré Nicolas Joël à cette occasion. Croisons
les doigts pour que ces deux-là fassent affaire ! Lisez les critiques
que Forum Opéra a consacrées à ses prestations.
Elles sont dithyrambiques. Dire que l’école de
théâtre de son quartier à Riga ne l’avait pas
admise, il n’y a pas si longtemps, en la jugeant peu douée
pour la comédie…
Caractériser en quelques mots sa voix n’est pas
facile : le timbre est magnifique, chaud, corsé,
homogène sur tout l’ambitus, très reconnaissable
aussi, y compris car on peut y deviner, à quelque intonation,
ses origines baltes ; les aigus sont – ou du moins
paraissent - d’une facilité déconcertante, ouvrant
un champ très large pour son répertoire ; les
passages d’agilité sont assumés crânement,
même si Elina Garanča n’est clairement pas une mezzo
colorature, comme ses consoeurs Joyce DiDonato
ou Vivica Genaux. La maîtrise des langues n’est pas le
moindre de ses atouts : son allemand est parfait ; son
italien irréprochable et son français, ici ou là
perfectible, est très bon.
Les perspectives sont radieuses. DG en fait une de ses stars et cinq CD
au moins sont prévus. Les grandes maisons d’opéra
se l’arrachent, son agent IMG aidant. Il y aura sans doute Romeo
des Capulets et les Montaigus,
Eboli ensuite, des rôles français pour peu que des
théâtres se lancent dans Cendrillon de Massenet ou
reprennent Les Troyens. Plus
tard, aussi Amnéris dont Elina Garanča dit rêver
… Vite, il est grand temps que Paris se mette sur les
rangs !
Jean-Philippe Thiellay
Décembre 2006
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