(5 Questions)
[ Décembre
2006 ]
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Joyce Di Donato
Joyce Di Donato © DR
Comment
une chanteuse américaine, avec un nom italien, décide
d'enregistrer un disque de mélodies espagnoles (*) ?
Je suis née à Kansas City, au centre des Etats-Unis et je
me sens vraiment américaine même si mes origines sont en
fait irlandaises et que je suis mariée avec un italien,
d’où mon nom. Mon père, architecte de profession,
dirigeait un chœur dans notre ville. Bercée dès
l’enfance par la musique classique, j’ai choisi
d’étudier le chant choral pour l’enseigner à
mon tour au collège. C’est alors que s’est produit
le déclic. Auparavant la voix des chanteurs d’opéra
me semblait artificielle ; je ne l’aimais pas ; je ne
la comprenais pas. Mais quand j’ai dû moi-même
commencer à chanter, j’ai ressenti des sensations
incroyables. Je crois aussi que j’ai été
séduite par le challenge à tous les niveaux, tant
physique que linguistique, musical et émotionnel. A la fin de
mes études, en 1992, alors que j’hésitais entre
l’enseignement et une carrière lyrique, une mélodie
de Fernando Obradors, « Del cabello mas sutil »,
m’a révélé le répertoire espagnol et
a décidé de mon choix. J’attendais depuis
l’occasion de rendre hommage à l’Espagne à
travers la beauté vive et le charme populaire de sa
musique ; c’est désormais chose faite.
Pasion ! mais aussi Dejanire dans Hercules, Ascanio dans Benvenuto Cellini, Rosina, le compositeur d'Ariane à Naxos : autant de rôles, autant de langues ; quel rapport entretenez-vous avec chacune d'entre elles ?
L’anglais est, pour moi, la langue la plus difficile à
chanter parce que, quand vous chantez dans votre langue natale, vous
avez tendance à négliger la prononciation ; vous
présumez que vous serez comprise. Heureusement, mis à
part Dejanire, j’ai peu l’occasion de le faire. Le
français vient après, avec la nuance subtile qui existe
entre les voyelles ouvertes et les voyelles fermées. Le "e",
notamment, est redoutable. Je crois que, même si mon
français chanté est compréhensible à 95%,
il me faudra une vie entière pour gagner les 5% restants.
L'italien m'est naturel. Il s'agit, sans nul doute, de la langue la
plus évidente. L'allemand, au départ, ne m'était
absolument pas familier. Mais après l'avoir
étudié, il m'est apparu plus facile à
maîtriser que le français. Les voyelles sont claires, les
consonnes percutantes. L'espagnol enfin a représenté un
défi. Il me semblait a priori simple à apprendre parce
que proche de l'italien et parce que je l'ai souvent entendu parler.
Mais il m'a fallu trouver les moyens d'en faire ressortir les parfums,
les épices qui lui sont caractéristiques. Avec son
côté direct, son rythme et ses notes extrêmes, de la
plus grave à la plus aiguë en une seule phrase, j'adore
l'espagnol !
Dejanire dans Hercules © Eric Mahoudeau
Votre site Web
(www.joycedidonato.com), en plus des informations habituelles
(biographie, discographie, agenda...), présente en ligne votre
propre journal. Pourquoi ?
J'ai longtemps hésité avant d'avoir mon propre site Web
parce que cela me semblait relever d'une approche marketing à
laquelle je ne souscris pas forcément : transformer le chanteur
en un produit qu'il faut promouvoir. Je craignais de mettre en
péril mon intégrité, d'être
appréciée ou reconnue pour autre chose que
moi-même. Mais aujourd'hui, Internet est incontournable. Une de
mes amies a beaucoup insisté et j'ai fini par lui céder
à condition de respecter ma personnalité, de mettre en
ligne ce que j'avais envie de dire. Je ne tenais pas à
être trop généraliste ou égocentrique ;
parler de moi, seulement de moi, me rendait nerveuse. Je voulais aussi
parler des personnes autour de moi, de mes rencontres, de mes
expériences, des challenges que j'avais à relever
à l'intérieur de ma vie professionnelle comme à
l'extérieur.
Dans
le même ordre d'idée, un autre de mes amis m'a
incitée à créer mon propre slogan. J'ai choisi "a
voice, a vision, an adventure " parce qu'il me correspond vraiment. Ma
vision, c'est la manière dont je considère mon
métier. Je le prends très au sérieux car il
comporte une large part de responsabilités. Le public investit
beaucoup pour venir à l'opéra, financièrement mais
aussi personnellement. Certaines personnes se préparent avant le
spectacle en lisant ou en écoutant la musique afin de mettre de
leur côté toutes les chances pour vivre une
véritable expérience émotionnelle. Je ne peux pas
les décevoir.
Comment accueillez-vous la critique ?
J'essaye toujours de donner le meilleur de moi-même, quel que
soit l'endroit où je chante. Evidemment, d'une ville à
l'autre, le public est plus ou moins facile. Mais je n'en tiens pas
compte car cela fait partie des choses que je ne peux pas
contrôler. Je fais un métier où je suis constamment
jugée. Je dois avoir l'estomac solide. Sinon, l'épreuve
est trop douloureuse ; mieux vaut renoncer. Et puis, il faut accepter
de ne pas plaire à tout le monde. Si l'on n'y prend pas garde,
la critique peut agir comme un poison. Une fois le choc passé,
il faut savoir s'en détacher, l'analyser et l'utiliser pour
progresser. J'ai choisi d'être cantatrice et je ne vais
sûrement pas renoncer parce qu'un journaliste
décrète que je ne suis pas bonne. La carrière de
chanteur repose à 80% sur le mental ; la technique et la voix
n'interviennent qu'à 20%. C'est donc une question de force de
caractère. Avant de monter sur scène, il ne faut surtout
pas douter de soi. Mais il faut savoir aussi conserver une part
d'humilité ; attention à ne pas confondre confiance avec
arrogance.
- Rossini, Mozart et Haendel
sont aujourd'hui les trois pôles de votre carrière. A
quel(s) autre(s) compositeur(s) souhaiteriez-vous être
associée ?
Richard Strauss assurément. Ma prochaine grande prise de rôle sera Octavian dans Le chevalier à la rose en juin à San Francisco. Je viens de chanter mon premier compositeur d'Ariane à Naxos
à Madrid et j'en ai éprouvé une immense
satisfaction. Le personnage est d'une richesse incroyable, tellement
dense... J'ai dû travailler énormément. Il m'a
fallu maîtriser non seulement la langue mais aussi
l'écriture musicale. J'espère avoir souvent l'occasion de
l'interpréter. J'aimerais aussi retrouver de nombreuses fois
Sestus de La Clemence de Titus.
Le bel canto m'attire également ; après Elisabeth de
Marie Stuart en 2004 à Genève, je prévois la
saison prochaine de chanter Roméo dans Les Capulet et les Montaigu
de Bellini. Enfin j'attends avec impatience mon premier Ariodante
à Chicago. Et puis, peut-être un jour, Carmen... Si l'on
m'avait proposé le rôle il y a trois ans, j'aurais
refusé. Et maintenant, je me dis pourquoi pas... A condition
d'éviter les clichés en disposant d'un bon chef
d'orchestre et d'un bon metteur en scène. Je me souviens d'une
grande mezzo-soprano américaine qui, en fin de carrière,
après avoir interprété un nombre
considérable de rôles, me confiait : " J'adore Carmen et
je la déteste. Il n'y a pas plus ingrat. Micaella chante deux
airs et lui dame le pion ; Don José, s'il réussit La
fleur que tu m'avais jetée, recueille tous les applaudissements
; Escamillo arrive avec l'air du toréador que tout le monde
connaît et emporte la partie. Pendant ce temps, tu t'escrimes
toute la soirée pour qu'à la fin du spectacle, les gens
sortent du théâtre en déclarant " elle ne chante
pas mal mais elle n'est pas vraiment Carmen ! ".
Propos recueillis par Christophe Rizoud
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(*) ¡Pasión !
récital de mélodies espagnoles, avec
Julius Drake au piano, enregistré en mai 2006 chez Eloquentia
Joyce Di Donato sur Forum Opéra :
CD ¡Pasión !
CD Récital Tempest Desire
CD Benvenuto Cellini
CD Amor e Gelosia
CD Radamisto
Hercules à Aix en Provence et à Paris Garnier
Benvenuto Cellini à Paris
La clemenza di Tito à Genève
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