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Coup de projecteur sur l'Opéra du Rhin

17 Juin 2005

Coup de projecteur sur l'Opéra du Rhin
à l'occasion de la dernière production de sa saison "Vendanges Tardives" :
Les Boréades de Rameau
 

Cette année, l'Opéra du Rhin avait choisi un thème pour sa saison, ces "Vendanges Tardives" nous offraient en effet des oeuvres ultimes (ou composées en fin de vie).

Le choix des ouvrages s'est révélé passionnant du fait de sa diversité : la vieillesse, l'approche de la mort n'a en effet pas inspiré aux compositeurs que des musiques austères et automnales, loin s'en faut, Falstaff de Verdi ou Béatrice et Bénédict de Berlioz en sont les meilleurs exemples. 
Certaines oeuvres testamentaires auront été pour d'autres auteurs l'occasion de jeter un regard amère si ce n'est cynique ou pessimiste sur le monde qu'ils s'apprêtent à quitter (Monteverdi et son Couronnement de Poppée, Berg et sa Lulu, Mahler et son Chant de la Terre - qui fut donné dans une superbe version chorégraphique).

D'autres ouvrages encore traduisent un certain repli sur soi et une refus des modes. Les compositeurs insufflent alors avec force tout le génie qu'ils portent : ils n'ont plus rien à perdre ni à prouver, tel Haendel écrivant le bouleversant oratorio Theodora, qui tranche avec le reste de sa production, ou tel Rameau jetant les derniers feux de la tragédie lyrique tout en la transfigurant, avec les Boréades, et osant là des audaces qu'il n'avait plus mises en oeuvre depuis l'effroi qu'avait provoqué son premier ouvrage lyrique, Hippolyte et Aricie, une trentaine d'années auparavant.

La programmation était donc captivante, les interprétations le furent souvent tout autant.
On retiendra ainsi en premier lieu la reprise de la célèbre production de Theodora mise en scène par Peter Sellars. Un tel spectacle, une telle "expérience" devrait-on dire, sont de ces moments inoubliables qui restent gravés dans la mémoire d'un spectateur. Portée par une Mireille Delunsch en état de grâce, la performance musicale était transcendée par une gestualité évoluant avec (ou par ?) les inflexions musicales du chant. Il faut bien avouer que l'on a touché au sublime avec cette production.

On retiendra en deuxième lieu la magnifique production de Lulu, rare et difficile ouvrage de Berg, porté là encore par une mise en scène extraordinaire d'intelligence (production à l'affiche jusqu'au 3 juillet).

L'on aura pas été pour autant déçu par un réjouissant Falstaff, une Flûte Enchantée ludique, une rafraîchissante production de Béatrice et Bénédict (inaugurant un ambitieux cycle Berlioz chanté par des francophones), ou par la production du Couronnement de Poppée admirablement dirigée par Rinaldo Alessandrini et revisitée par David McVicar.

C'est dire, à un tel niveau d'excellence, que l'on attend impatiemment le dernier verre de ces Vendanges Tardives avec la nouvelle production du dernier opéra de Rameau, Les Boréades.
Cette production inaugure un coopération entre Emmanuelle Haïm et l'Opéra du Rhin (elle dirigera l'an prochain L'Orfeo de Monteverdi). Le défi est de taille : s'attaquer à l'une des dernières tragédies lyriques (si ce n'est la dernière) est en effet une importante prise de risque pour un jeune chef ! 

Les meilleures fées semblent cependant s'être penchées sur cette production qui s'annonce passionnante. La distribution nous permettra en effet d'entendre à nouveau le merveilleux Paul Agnew dans l'un de ses rôles fétiches, Abaris. La partie scénique a, elle, été pensée à deux (Laurent Laffargue, metteur en scène, Andonis Foniadakis, chorégraphe), et cela est heureux tant l'importance de la danse est grande dans cette partition : elle ne doit pas, et ne peut pas être, un simple divertissement au sein de l'intrigue dramatique.

Les deux hommes ne se cachent pas de rechercher autre chose qu'une reconstitution historique. C'est davantage du côté de la psychologie des personnages qu'ils regardent, l'homme traqué, l'homme frustré, l'homme qui se donne en spectacle, voici des thèmes qui ont touché Laurent Laffargue et Andonis Foniadakis. Ils feront ainsi référence au monde du cirque ou de la chasse, deux univers leur permettant de souligner les agissements cruels ou dérisoires des différents acteurs de cette tragédie.

Que faire après une dégustation d'un Vendanges Tardives si ce n'est... fumer un bon cigare ? 
La saison 2005-2006 s'avère en effet tout à fait passionnante elle aussi. Pas de thématique, plutôt un vent de liberté mais avec une marque de fabrique toujours aussi reconnaissable. L'Opéra du Rhin est de ces maisons - à l'instar de La Monnaie de Bruxelles par exemple - qui favorisent le travail d'équipe plutôt que la présence de "stars" du chant, et qui portent une attention toute particulière aux chefs d'orchestre et aux metteurs en scène. Ainsi, nous retrouverons David McVicar pour son premier Cosi fan tutte (en attendant son Ring ici-même !), Emmanuelle Haïm pour L'Orfeo ou Renaud Doucet pour Benvenuto Cellini.

On se réjouit aussi que l'Opéra du Rhin procède depuis quelques saisons à la reprise de spectacles marquants. La prochaine saison nous gratifiera ainsi de la reprise de la magnifique production d'Eugène Oniéguine par Marco Arturo Marelli créée il y a 3 ans.

Nous trouverons encore des oeuvres originales et des créations ambitieuses. On se félicite ainsi de retrouver Don Carlos de Verdi en français, on ira avec curiosité écouter trois cantates de Bach (dont sans doute sa plus belle, la Trauerode, BWV 198) mises en scène, et on s'impatiente de deux créations capitales et prometteuses : l'opéra Pan du détonant Marc Monnet - qui, c'est à souligner, est une commande de l'Opéra du Rhin - et le ballet Ondine de Hans Werner Henze dont ce sera la création française.

L'Alsace peut donc s'enorgueillir d'un telle maison dont on admirera en outre, la politique tarifaire (notamment à destination des étudiants) et pédagogique (très actif département Jeune Public ainsi qu'une troupe, les Jeunes Voix du Rhin, permettant à des chanteurs en début de carrière de montrer leur talent dans des productions souvent très originales et réussies).

Le public est ici jeune et curieux, ce qui est tout à fait caractéristique de l'une des régions les plus musiciennes de France, passé germanique oblige !
 
 
 

Pierre Emmanuel LEPHAY
En savoir plus :
Les Boréades de Jean-Philippe Rameau
18, 21 Juin : Mulhouse - La Filature
28, 29 Juin, 1er, 2, 4 juillet 2005 : Strasbourg - Opéra 
www.opera-national-du-rhin.com
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