Coup
de projecteur sur l'Opéra du Rhin
à l'occasion de
la dernière production de sa saison "Vendanges Tardives" :
Les Boréades de
Rameau
Cette année, l'Opéra
du Rhin avait choisi un thème pour sa saison, ces "Vendanges Tardives"
nous offraient en effet des oeuvres ultimes (ou composées en fin
de vie).
Le choix des ouvrages s'est
révélé passionnant du fait de sa diversité
: la vieillesse, l'approche de la mort n'a en effet pas inspiré
aux compositeurs que des musiques austères et automnales, loin s'en
faut, Falstaff de Verdi ou Béatrice et Bénédict
de Berlioz en sont les meilleurs exemples.
Certaines oeuvres testamentaires
auront été pour d'autres auteurs l'occasion de jeter un regard
amère si ce n'est cynique ou pessimiste sur le monde qu'ils s'apprêtent
à quitter (Monteverdi et son Couronnement de Poppée,
Berg et sa Lulu, Mahler et son Chant
de la Terre - qui fut donné dans une superbe version chorégraphique).
D'autres ouvrages encore
traduisent un certain repli sur soi et une refus des modes. Les compositeurs
insufflent alors avec force tout le génie qu'ils portent : ils n'ont
plus rien à perdre ni à prouver, tel Haendel écrivant
le bouleversant oratorio Theodora, qui tranche avec le reste de
sa production, ou tel Rameau jetant les derniers feux de la tragédie
lyrique tout en la transfigurant, avec les Boréades, et osant
là des audaces qu'il n'avait plus mises en oeuvre depuis l'effroi
qu'avait provoqué son premier ouvrage lyrique, Hippolyte et Aricie,
une trentaine d'années auparavant.
La programmation était
donc captivante, les interprétations le furent souvent tout autant.
On retiendra ainsi en premier
lieu la reprise de la célèbre production de Theodora
mise en scène par Peter Sellars. Un tel spectacle, une telle "expérience"
devrait-on dire, sont de ces moments inoubliables qui restent gravés
dans la mémoire d'un spectateur. Portée par une Mireille
Delunsch en état de grâce, la performance musicale était
transcendée par une gestualité évoluant avec (ou par
?) les inflexions musicales du chant. Il faut bien avouer que l'on a touché
au sublime avec cette production.
On retiendra en deuxième
lieu la magnifique production de Lulu,
rare et difficile ouvrage de Berg, porté là encore par une
mise en scène extraordinaire d'intelligence (production à
l'affiche jusqu'au 3 juillet).
L'on aura pas été
pour autant déçu par un réjouissant Falstaff,
une Flûte Enchantée
ludique, une rafraîchissante production de Béatrice
et Bénédict (inaugurant un ambitieux cycle Berlioz
chanté par des francophones), ou par la production du Couronnement
de Poppée admirablement dirigée par Rinaldo Alessandrini
et revisitée par David McVicar.
C'est dire, à un tel
niveau d'excellence, que l'on attend impatiemment le dernier verre de ces
Vendanges Tardives avec la nouvelle production du dernier opéra
de Rameau, Les Boréades.
Cette production inaugure
un coopération entre Emmanuelle Haïm et l'Opéra du Rhin
(elle dirigera l'an prochain L'Orfeo de Monteverdi). Le défi
est de taille : s'attaquer à l'une des dernières tragédies
lyriques (si ce n'est la dernière) est en effet une importante prise
de risque pour un jeune chef !
Les meilleures fées
semblent cependant s'être penchées sur cette production qui
s'annonce passionnante. La distribution nous permettra en effet d'entendre
à nouveau le merveilleux Paul Agnew dans l'un de ses rôles
fétiches, Abaris. La partie scénique a, elle, été
pensée à deux (Laurent Laffargue, metteur en scène,
Andonis Foniadakis, chorégraphe), et cela est heureux tant l'importance
de la danse est grande dans cette partition : elle ne doit pas, et ne peut
pas être, un simple divertissement au sein de l'intrigue dramatique.
Les deux hommes ne se cachent
pas de rechercher autre chose qu'une reconstitution historique. C'est davantage
du côté de la psychologie des personnages qu'ils regardent,
l'homme traqué, l'homme frustré, l'homme qui se donne en
spectacle, voici des thèmes qui ont touché Laurent Laffargue
et Andonis Foniadakis. Ils feront ainsi référence au monde
du cirque ou de la chasse, deux univers leur permettant de souligner les
agissements cruels ou dérisoires des différents acteurs de
cette tragédie.
Que faire après une
dégustation d'un Vendanges Tardives si ce n'est... fumer
un bon cigare ?
La saison 2005-2006 s'avère
en effet tout à fait passionnante elle aussi. Pas de thématique,
plutôt un vent de liberté mais avec une marque de fabrique
toujours aussi reconnaissable. L'Opéra du Rhin est de ces maisons
- à l'instar de La Monnaie de Bruxelles par exemple - qui favorisent
le travail d'équipe plutôt que la présence de "stars"
du chant, et qui portent une attention toute particulière aux chefs
d'orchestre et aux metteurs en scène. Ainsi, nous retrouverons David
McVicar pour son premier Cosi fan tutte (en attendant son Ring
ici-même !), Emmanuelle Haïm pour L'Orfeo ou Renaud Doucet
pour Benvenuto Cellini.
On se réjouit aussi
que l'Opéra du Rhin procède depuis quelques saisons à
la reprise de spectacles marquants. La prochaine saison nous gratifiera
ainsi de la reprise de la magnifique production d'Eugène Oniéguine
par Marco Arturo Marelli créée il y a 3 ans.
Nous trouverons encore des
oeuvres originales et des créations ambitieuses. On se félicite
ainsi de retrouver Don Carlos de Verdi en français, on ira
avec curiosité écouter trois cantates de Bach (dont sans
doute sa plus belle, la Trauerode, BWV 198) mises en scène,
et on s'impatiente de deux créations capitales et prometteuses :
l'opéra Pan du détonant Marc Monnet - qui, c'est à
souligner, est une commande de l'Opéra du Rhin - et le ballet Ondine
de Hans Werner Henze dont ce sera la création française.
L'Alsace peut donc s'enorgueillir
d'un telle maison dont on admirera en outre, la politique tarifaire (notamment
à destination des étudiants) et pédagogique (très
actif département Jeune Public ainsi qu'une troupe, les Jeunes Voix
du Rhin, permettant à des chanteurs en début de carrière
de montrer leur talent dans des productions souvent très originales
et réussies).
Le public est ici jeune et
curieux, ce qui est tout à fait caractéristique de l'une
des régions les plus musiciennes de France, passé germanique
oblige !
Pierre Emmanuel
LEPHAY
En savoir plus :
Les Boréades
de Jean-Philippe Rameau
18, 21 Juin : Mulhouse -
La Filature
28, 29 Juin, 1er, 2, 4 juillet
2005 : Strasbourg - Opéra
www.opera-national-du-rhin.com